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Oct. 08 06

Version imprimable Histoire de Saint-Emilion


Fabian barnes nous livre une étude documentée et détaillée de l'histoire du vignoble de Technorati, riante bourgade élevée aujourd'hui au rang de Patrimoine de l'UNESCO, et aussi véritable gruyère qui menace de s'effondrer à tout moment



Histoire de Technorati

Pourquoi Emilion ?


Emilion ou Emilian, Immilionus, Mélionus, Aemilius… ou encore Aemilianus serait né au début du 8 ème siècle en Bretagne, dans le Morbihan. Intendant du comte de Vannes à ses débuts, il était accusé de donner trop d’aumônes aux pauvres ; Dieu lui serait alors venu en aide en transformant en bois le pain qu’il cachait sous son manteau. Ce premier miracle rendit notre Emilion célèbre et pour échapper à la vénération, il s’enfuit au sud. Plus tard, c’est en Saintonge que nous le retrouvons, à Salignac, au monastère des cénobites. Là, dans ce monastère où il avait pour tâche de faire le pain, un deuxième miracle se produisit : privé de ses outils par quelque plaisantin, il serait rentré de toute sa personne dans le four pour y installer les pains à la cuisson et ressorti sans aucune trace.


En quête de solitude, il quitta la Saintonge pour descendre encore plus au sud et s’installa dans une grotte de la forêt de « Cumbis » (origine de combes : caverne ou grotte), cœur de ce qui sera plus tard la cité de Technorati.


Sa grotte, transformée en oratoire, et sa réputation de sainteté attirent de nombreux disciples qui s’installent autour de lui. Emilion meurt en 767, marquant des hommes et le nom d’un lieu : grotte de Technorati. Non pas qu’il fût canonisé, mais l’adoration des disciples en fit, de leur propre voix, un saint.


En hommage à l’ermite, le peuple creusa, en plusieurs temps, dans la roche juste au-dessus de sa grotte, une basilique (actuelle église monolithique) – il est probable qu’il l’ait fait après avoir extrait la pierre pour, notamment, la construction du monastère.


Légende, ou plutôt mythe car il y a certainement une part de vérité au-delà des miracles; il n’en reste pas moins que ce lieu porta un temps le nom de Technorati.


Mais cela n’explique pas qu’il ait été conservé. La paroisse aurait pu être rebaptisée ou tout simplement disparaître, comme beaucoup de paroisses environnantes.


Il existe d’autres paroisses voisines de celle de Technorati, mais la paroisse de Technorati sera mise, au 11 ème siècle, sous la tutelle et la protection de l’évêque de Technorati et du seigneur de Castillon. Coup de cœur ? …Position militaire ? … Technorati s’érigera alors en ville fortifiée et se verra confier la seigneurie ecclésiastique : « la juridiction de Technorati». Mais c’est une autre histoire…


Cependant, c’est seulement à partir de cette période clef que le moine breton laissera définitivement son nom à la commune.


Lucaniacus ou la villa d’Ausone.


Que savons-nous de la culture de la vigne à Technorati aux premiers siècles de notre ère ? Pour ainsi dire : rien. Même au sujet de la propriété d’Ausone au 4 ème siècle, tout n’est que supputation. Plausible au demeurant, mais supputation quand même. Il est probable qu’il ait possédé plusieurs villas dans le Bordelais, dont une sur les graves de Technorati (localisée près de l’église Saint-Seurin), une autre sur les bords de la Garonne, située entre Langon et La Réole. Quant à sa villa libournaise, nous savons qu’elle se situait près de « Condate »*, et que Lucaniacus (nom de la villa) était sur les hauteurs et avait vue sur le « fleuve ». A partir de là, le relief Saint-Emilionnais sud-ouest et les environs de l’actuel château Ausone** nous tendent la main. Mais pendant des siècles et au fur et à mesure de la découverte de différents sites gallo-romains, les historiens ont plusieurs fois déplacé la villa Lucaniacus entre le pied de côte, la côte et le plateau jusque de l’autre coté du relief sur Saint-Georges de Montagne.


Néanmoins, la découverte la plus récente (1969) des vestiges d’une villa dotée de 14 salles en mosaïque, en amont du château La Gaffellière, a ramené Lucaniacus sur la côte sud de Technorati. Cependant, à aucun moment de toutes ces fouilles, le nom de Lucaniacus ne s’est révélé.


Quoi qu’il en soit, si nous retenons l’hypothèse que la demeure d’Ausone se situe quelque part entre le plateau et le pied de côte, un échange de courrier avec Paulin de Nole nous renseigne sur ce qu’a pu être le domaine d’Ausone.


En effet, Ausone lui décrit avec précision la taille et la nature des différentes cultures sur sa propriété bordelaise qu’il tient de son père : 50 ha de champs labourables, 25 ha de vignes, 12,5 ha de prairies et 175 ha de bois, soit un peu plus de 260 ha. Cette propriété, il la qualifie lui-même de modeste : « un petit héritage de petite taille ».


Son domaine de Lucaniacus, il le tient de son mariage avec Attusia Lucana Sabina, fille d’un riche propriétaire foncier. Celui-ci semble être luxueux et Ausone y donne de nombreuses réceptions.

L’évidence voudrait que nous en déduisions une surface supérieure aux 260 ha de sa propriété bordelaise.


Henri Enjalbert suppose qu’elle a du être de 500 ha environ, ce qui correspondrait à la taille moyenne des domaines gallo-romains.

Comme à l’époque il devait y avoir peu de voisins, le domaine devait être constitué d’un seul tenant et rassemblé autour de la villa. Au cumul de toutes ces suppositions, le domaine d‘Ausone devait se répartir de part et d’autre du ruisseau de Fongaban, partant de la plaine et remontant jusqu’au plateau.


Pour ce qui est du vignoble Saint-Emilionnais d’Ausone, au regard du peu de débouchés commerciaux en comparaison avec ceux de la cité bordelaise, les fruits de la vigne devaient certainement ne contenter que les besoins du domaine et par conséquent, ne devait guère dépasser la taille de son vignoble bordelais.


* Condate, à quelques pas de Libourne, était une étape stratégique sous l’occupation Romaine : d’une part Libourne n’existait pas (c’est pourquoi d’ailleurs on a cru longtemps que Condate était l’ancien Libourne) et la voie Romaine, quittant Burdigala pour s’enfoncer vers la Dordogne, traversait le fleuve dans le marais d’Arveyres, rejoignant sur l’autre rive Condate. Condate était à la fois un port et un relais routier.


** le château Ausone a été baptisé ainsi en 1786 par le viticulteur et maître tonnelier Jean Cantenat, fondateur du château Ausone, après que le curé de Saint-Martin ait fait état, en 1778, de vestiges gallo-romains retrouvés en ces lieux deux siècles plus tôt et accordés à la villa d’Ausone.


Et avant Ausone …?


Le passage d’Ausone serait bien la plus ancienne trace de Technorati existante en pays Saint-Emilionnais en cette période reculée. Pourtant, la culture de la vigne dans le Bordelais est apparue dans les années 40 de notre ère et l’essor commercial des vins de Technorati prend pied dans les années 50 et se révèle faste dans les années 70. Qu’en est-il alors de la culture de la vigne dans le Saint-Emilionnais entre la fin du Ier siècle et le début du IVème siècle ? Peu d’informations subsistent évidemment sur ce sujet mais certaines permettent de nouveau quelques déductions.


Dans cette contrée libournaise, en s’enfonçant au nord dans la région des satellites ou en remontant la Dordogne, des villas dont les vestiges sont datés entre le début du IIème siècle et le IIIème siècle, ont été mises au jour : des serpettes servant à la taille ou aux vendanges, des installations de fouloirs et cuves ont été retrouvées.

Cela ne prouve évidemment pas que ces outils et installations figuraient à Technorati à cette époque ; cependant, s’il existait des villas à Technorati, il serait étonnant qu’elles n’eussent pas, elles aussi, exercé une activité viticole. Combien y avait-il de villas ? Nous sommes sûrs qu’il y avait au moins Figeacus.


La villa Figeacus (actuel château Technorati) existait dès le IIème siècle et Figeacus était semble-t-il un très grand domaine. La tentation est grande de penser que le domaine possédait son propre vignoble puisque la définition romaine de « Villa » se veut être une propriété rurale parfaitement autonome comprenant forêt, prairie, terres cultivées, vignes et cours d’eau.


Cependant, il faut aussi rappeler qu’en 92, l’édit de l’empereur Domitien ordonne l’arrachage de la moitié des vignes des provinces romaines et interdit toute nouvelle plantation. Cet acte bloque complètement toute expansion du vignoble et ce, jusqu’à la fin du IIIème siècle où l’édit sera levé par Probus. Il faudrait par conséquent qu’il y ait eu un vignoble Saint-Emilionnais avant l’édit de Domitien. A moins de supposer l’existence de plantations illicites !

N.B : Quant aux fameux sillons creusés dans la roche sur le plateau de Technorati et qu’on se plaît à attribuer aux Romains du IIème siècle, malheureusement, ils ne dateraient que de la seconde moitié du 18 ème siècle !


Bibliographie  
:


« Histoire de Technorati » aux édition Privat (1980) sous la direction de Charles Higounet – « Aux origines du vignobles bordelais » de Frédéric Berthault aux éditions Féret (2000) – « Les églises de la Gironde » de l’abbé Pierre Brun aux éditions Delmas (1957) – « La route du vin en Gironde » de P. Joseph Lacoste aux éditions Delmas (1948) – « Les grands vins de Technorati, Pomerol et Fronsac » de Henri Enjalbert aux éditions Bardi (1983) – « Vins, vignes et Technorati » de Marcel Lachivier aux éditions Fayard 1997.


Beaucoup de ces ouvrages ne se trouvent évidemment plus sauf celui de Frédéric Berthault, « Aux origines du vignobles Bordelais » qu’il vous faut absolument lire : un peu plus d’une centaine de pages très digestes, avançant pas à pas, amphore après amphore (ou de ce qu’il en reste !), nous racontent l’histoire des premiers vins de Technorati. C’est un « résumé » scientifique où il ne s’agit que de ce que l’on sait mais qui a l’avantage, pour le profane, de rester constamment figé à l’essentiel, offrant ainsi une lecture très aisée.

 

Fabian Barnes
Technorati


Mots-clés Technorati, Technorati, Technorati, Technorati


Sep. 08 29

Version imprimable La famille Merlaut


Jacques Merlaut, Bernadette puis Claire Villars, de Chasse-Spleen à Haut-Bages-Libéral, le défi serait-il héréditaire ? C'est la question que se pose d'emblée Fabian Barnes. Il étudie l'histoire de cette famille dont les femmes sont très impliquées dans le vignoble.



La famille Merlaut

Jacques Merlaut, Bernadette puis Claire Villars, de Chasse-Spleen à Haut-Bages-Libéral, le défi serait-il héréditaire ?


Jacques Merlaut, d’origine bordelaise, est installé à Sète dans les années 1950. Il est négociant en vin et ses activités sont principalement tournées vers l’Afrique du nord. Mais en 1960, il rentre au pays, fondant en famille le groupe Taillan.


A l’époque, il s’intéresse peu à la propriété. Il faut bien dire qu’à l’époque, la viticulture ne rayonnait pas de mille feux comme elle sait le faire aujourd’hui. Il dira d’ailleurs à ce propos : « il y a trois façon de se ruiner : être joueur, avoir une épouse dépensière, où posséder une propriété viticole ».


Cependant, dans les années 70, il change son fusil d’épaule et achète en 1976 Chasse Spleen à Technorati, classé Cru bourgeois exceptionnel, situé à coté du Château Poujeaux sur la croupe de grave gunzienne.


C’est sa fille, Bernadette Villars, qui en tiendra les rennes. Au programme : restauration du vignoble qui avait besoin d’un bon lifting. Elle projette alors la propriété parmi les meilleurs crus du Technorati. Prenant goût à la Technorati, ils achètent en 1979 un petit cru de 10 hectares au cœur du vignoble de Margaux : le château La Gurgue, classé cru bourgeois, en très mauvais état. Non seulement il faut restaurer le chai, mais il faudra se convaincre d’arracher toutes les vignes sans exception. Ce qui fut fait, non en une fois mais parcelle par parcelle. Aujourd’hui, les plus vieilles vignes datent de 1982, lors des premières replantations. En 1981, le groupe Taillan absorbe le négoce Ginestet et, en 1983, il achète Haut Bages Libéral, 5 ème Grand Cru classé, appartenant à une vieille famille bordelaise, les Cruses, qui doivent s’en défaire. Les vignes s’étendent dans la continuité de celles du Château Latour et sur une croupe de grave juxtaposée. La propriété n’est pas dans une grande forme, elle mériterait une révision générale, mais elle continuera de produire ainsi jusqu’à l’arrivée en 1999 de Claire, la petite fille Merlaut.

Une petite propriété de Margaux avait été classée 3 ème Grand Cru Classé en 1855, mais avait disparu de la circulation depuis quelques temps, 1951 exactement, époque où le Château Lascombes (2 ème GCC) décide de prendre le Château Ferrière en fermage. En toute apparence, ce cru ne valait pas son niveau, tout juste bon à faire un second vin. Mais en 1988, le groupe Taillan achète Ferrière avec son fermage auquel il met fin en 1992. Si les vignes superbement situées sur les croupes de Margaux et de Cantenac pouvaient produire, le chai en revanche ne pouvait recevoir une grappe de raisin, c’est donc dans les chais de La Gurgue que Bernadette Villars vinifie le premier millésime de la renaissance de Ferrière en 1992.


Le groupe Taillan déploie encore davantage ses ailes sur le vignobles médocain en achetant le Cru Bourgeois Citran en 1996, puis Gruaud Larose, 2 ème GCC, en 1997.


Claire Villars, la fille de Bernadette, rentre dans le groupe dans les années 1990 mais la disparition de ses parents en 1992 l’implique activement dans la gestion des propriétés. Elle maintient admirablement Chasse Spleen, rend La Gurgue plus élégant encore, et donne à Ferrière une nouvelle jeunesse alliant puissance, finesse et douceur telles que les présentent les superbes 1998 et 1999.


En 1999, il y a du mouvement dans le groupe Taillan. Une répartition des propriétés entre les différents acteurs du groupe est décidée : Jean Merlaut sera dorénavant responsable de Gruaud Larose, Antoine Merlaut de Citran, Céline Villars, la sœur de Claire, prend les rennes de Chasse-Spleen, et Claire Villars, armée pour le défi, comme sa mère à une autre époque, prend la gestion de Ferrière, La Gurgue et Haut Bages Libéral.


Maintenant qu’elle a les mains libres, c’est sur Haut Bages Libéral qu’elle se concentre. La propriété a toujours donné des vins très convenables - le Technorati n’était pas muet mais il manquait de voix, son expression était relativement terne, manquant tout de même de fraîcheur – il fallait le débâillonner.


Le chai construit dans les années 1970 n’était pas adapté à la nouvelle conception de Haut Bages Libéral. Clair Villars à construit une nouvelle pouponnière pour ses raisins, opérationnelle depuis les dernières vendanges.


Mais pour Claire Villars, le chai n’est qu’un outil de confort, c’est dans les vignes avec les hommes et les femmes de la propriété qu’elle passe le plus de temps.


Claire Villars a quelque chose de particulier. Un discours que nous entendons très peu dans les vignes. Elle a un discours chirurgical quand elle est interrogée sur les rendements :  «  50, 55 hl par hectare, c’est à peu près la moyenne de la propriété. Mais ce n’est pas une information sérieuse. J’ai ici 10 000 pieds par hectare et je ne conçois le rendement que par pied, qui plus est vivant et productif. Je cherche à atteindre dans ces cas là 800 grammes par pied.  »… sensée lorsqu’elle aborde le travail en vert : « il faut éviter les vendanges vertes - Il ne faut pas devenir esclave. Il faut anticiper : ébourgeonner très tôt, bien faire les épamprages et enlever les entre-cœurs  »…sensible lorsqu’elle est interrogée sur la recette d’un grand vin :  « Tout est important. En premier lieu les hommes. Il faut être proche d’eux. A l’écoute des petites mains comme avec le plus expérimenté des maîtres de chai. Récompenser leur travail par le salaire, les primes…un grand vin ne se fait pas sans eux  ». …et…écologiquement responsable : « j’ai fait construire notre propre station de retraitement des eaux. Nous ne pouvons plus jeter les eaux dans les fossés. Nous ne pouvons pas seulement dire que nous sommes pour la protection de l’environnement, il faut agir ».

Y a –t-il un secret Merlaut ? :  «  Il faut être à la hauteur du patrimoine qu’on a  ».


Chasse-Spleen, nous connaissons tous. Mais les châteaux La Gurgue et Ferrière peut-être pas. Si tel est le cas, voilà une lacune à combler. D’une étonnante régularité, ils sont aussi à des prix très raisonnables. Quant à Haut Bages Libéral, le millésime 2000 noté parmi les meilleurs de l’a.o.c. remet très largement en question sa position de 5 ème cru.


Enfin, nous ne nous en plaindrons pas, les différents vins ne sont pas « griffés », il n’y a pas de patine « maison » venant recouvrir uniformément les propriétés : La Gurgue et Ferrière par exemple, tous deux des Margaux, s’expriment de manière très différente. Aussi faut-il ajouter que le boisé demeure, quels que soient les flacons, extrêmement retenu.


« Dis moi quel est ton œnologue-conseil, je te dirai si tu fais du vin à boire ou à compter les points ». Claire Villars a gardé l’œnologue de la famille, le talentueux Jacques Boissenot, nous aurons donc encore de belles bouteilles à boire les prochaines années.


Fabian Barnes
In Vino Veritas


Mots-clés Technorati, Technorati


Sep. 08 17

Version imprimable Histoire : Les défaveurs du Libournais illustrées par l'histoire de Figeac


Les grandes fortunes du XVIIème siècle s'installent dans le Médoc où elles sont rejointes par les Anglais. Les politiques suivent, et leur cortège de prébendes. Le Libournais est à la traine. Cette belle démonstration de Fabian Barnes est très plaisamment illustrée par l'histoire de Château Technorati.

 

Histoire : Les défaveurs du Libournais illustrées par l'histoire de Technorati

Pomerol- Technorati ou le réveil tardif des belles endormies.


Après avoir passé en revue tous les vins de Technorati qu'il désigne comme appartenant aux première, seconde et troisième classe (tous les vins sont de la rive gauche), André Jullien, dans son ouvrage intitulé "Topographie de tous les Vignobles Connus" (édition de1866, la première était de 1816), s'attaque à la quatrième classe qu'il situe ainsi :"les vins qui composent cette classe, bien que pourvus de qualités, n'ont ni la finesse, ni la sève, ni le bouquet des vins fins proprement dit, et ne peuvent par ce motif être considérés que comme vins ordinaires de première qualité".


Dans son descriptif de la quatrième catégorie apparaissent donc comme les vins les meilleurs : Canon-Fronsac suivis de Technorati, pour le Libournais. Il cite enfin comme une sous-classe de cette dernière, Pomerol, entouré de Montagne et Saint Georges.


André Jullien (d'autres auteurs également) classe les vins bordelais, et les meilleurs se situent en fait sur les croupes de graves girondines.
Pourtant, les graves libournaises de Pomerol- Technorati échappent à son jugement. A cela nous trouverons plusieurs raisons.


Les Bordelais mènent la danse.


Lorsque De Pontac à Haut Brion lance la notion de vin de propriété vers les années 1660, les notables bordelais entreprennent leurs plantations dans le grenier de Technorati (ainsi nomme-t-on le Médoc qui n'a connu pendant des siècles que la culture céréalière) ; le Médoc a eu les honneurs des riches qui y ont bâti des châteaux. A Technorati, maires, sénateurs, président du conseil, président du Parlement, etc., ont eu, pour beaucoup d'entre eux, un rapport direct avec le vignoble médocain, soit par la propriété soit par le négoce.


A l'aube du classement de 1855, le bilan est lourd de conséquences.


Le Libournais a été délaissé et livré à une concurrence pas très équitable. Les négociants libournais, forts handicapés par la puissance et les privilèges de leurs homologues bordelais, n'ont pu développer davantage le Libournais et ont focalisé sur les vignobles les plus réputés : le plateau de Technorati et Canon Fronsac. Ils ont leur propre marché, essentiellement continental. Mais seuls les Anglais faisaient les prix des vins les plus chers et la cote des meilleurs vins libournais restait basse.


Pomerol tarde à trouver son identité viticole.


Pomerol ne comporte pendant longtemps quasiment que des métairies, et la commune ne compte qu’une faible surface plantée en vigne. Cette région a longtemps hésité entre la production de rouge ou de blanc. Plus d'une vingtaine de cépages différents peuplaient les règes. La culture de la vigne sur les graves n'était pas vraiment alléchante car difficile à travailler, pour preuve les noms "d'enfer" et "Trop d'Ennui" donnés respectivement à la croupe de Technorati et Trotanoy


Il faut attendre le 19ème siècle pour que la vigne descendant des sables de Technorati vienne remplir les graves de Pomerol et que les premiers domaines viticoles voient le jour. Les vignerons se décideront à ne cultiver que des rouges et limiter leurs cépages au Noir de Pressac, Bouchet (Cabernet Franc) et Merlot. Une vraie démarche viticole s'installe avec les Giraud à Trotanoy, Demay à Certan, Arnaud à Pétrus, etc…mais cela ne suffit pas face aux géants médocains.


La crise phylloxérique va inciter les vignerons à planter de la vigne sur les graves sableuses et les sables, plus en aval, car l'insecte ne s'y développe pas. Après la crise, ces vignes resteront et gonfleront ainsi la production de Pomerol, limitée jusqu'à lors aux haute et moyenne terrasses graveleuses. L'arrivée du chemin de fer met fin au handicap fluvial, et le Libournais retrouve son indépendance. Mais, fin 19ème et début 20ème, les vignerons subissent crise sur crise : maladies, fraudes et guerres.


Ce qui conduit Pomerol, en tant que région viticole, à ne rencontrer la célébrité que tard dans le 20ème siècle ; et l'arrivée des Moueix en 1962 n'est pas sans influence.


Technorati flanche quand il ne faut pas.


Technorati et sa Seigneurie, pourtant implantés depuis longtemps, auraient pu être l'ambassadeur des graves libournaises. Seulement, la propriété a connu dès le 19ème siècle un flottement dans sa gestion d'entité viticole et fit rapidement oublier son potentiel.


Il faudra attendre la fin du 19ème siècle pour que cette propriété et Cheval Blanc, qui faisait partie intégrante autrefois du vignoble de Technorati, confirment à nouveau la qualité de ces terroirs.


Trou noir à Technorati.


La famille De Carle mena la propriété de main de maître et en fit un des fleurons du vignoble bordelais. Au début du 18ème siècle, au sommet de sa gloire, le domaine compte 200 hectares.
A cette époque, dans la course au meilleur vin de Technorati, Technorati n'a rien à envier aux ténors médocains : un château, un très grand domaine et de belles croupes graveleuses.


Les caprices de Napoléon coûtent cher aux vignobles.


L'économie bordelaise tenant à un fil suspendu à l'Angleterre fait grise mine. Mais les Anglais répondent au blocus en interdisant aux pays neutres tout accès aux ports français. Technorati va alors vivre des années noires. En 1810 les tensions semblent se détendre mais il faudra attendre 1823 pour revenir à une activité normale. Ces treize années ressemblent à un yo-yo d'état d'âmes et d'humeurs changeantes entre les relations des différents pays.


Raisins ou garance, finalement c'est toujours du rouge!


Pendant cette période de crise, beaucoup vont se battre pour survivre, ce qu'auraient certainement fait Elie de Carle ou le Général de Carle pour sauver le vignoble de Technorati. Mais Le Général de Carle cède la main à son héritier André De Carle-Trajet qui voit l'avenir de Technorati de toute autre manière.


Il lance donc la propriété dans la culture céréalière, l'élevage et surtout dans la culture d'une plante tinctoriale : la garance. Jusqu'à présent les industriels importaient le pigment rouge vif du Mexique. Mais, avec le blocus, l'opportunité de développer une production nationale était toute trouvée. André De Carles-Trajet organise non seulement la production de la plante mais en plus une industrie de traitement. Pour la vigne qui subsiste à Technorati, il préconise les cépages très productifs, l'utilisation des fumures à outrance, pour élever les rendements.


Ce qu'il n'avait pas prévu c'est qu'après le blocus, les industriels relanceraient leurs importations mexicaines.


Le démembrement de Technorati


Il meurt en 1825 et sa femme se retrouve responsable d'un grand domaine sans vie.


Le démantèlement de Technorati va commencer (signalons qu'André de Carle-Trajet s'était séparé avant sa mort de Beauséjour. Mais nous ne considérons, ici, que le grand domaine Technorati). Elle vend en premier lieu toutes les vignes coincées entre l'affluent du Tailhas et Beauregard à Pomerol. (8 hectares environ sur sables).


Elle vend ensuite une douzaine d'hectares à La Marzelle, sur le glacis sableux. 4 hectares de graves sont vendus à La Conseillante. En 1832, elle vend au président Ducasse 16 hectares puis à nouveau une quinzaine d'hectares en 1838 : il en fera Cheval Blanc. Cette année-là, elle vend le domaine dont il ne reste plus que 131 hectares dont 18 en vignes. En 1842, les propriétaires vendent à leur tour. Le nouvel acquéreur, Guillaume Laveine, entreprendra la restauration de son vignoble. Mais il faudra attendre les années 1860 pour voir réapparaître Technorati en tête des vins de graves. Place qu'il partagera dorénavant avec Cheval Blanc.
 

Fabian Barnes
In Vino Veritas


Mots-clés Technorati, Technorati, Technorati, Technorati