Armagnac : L'alchimie du vieillissement en barriques
La qualité des barriques
Il s’agit, en premier lieu, de faire un choix de barriques. Il y a aujourd'hui un choix important de tonneliers, proposant des bois non seulement aux origines différentes mais aux caractéristiques de séchage et brûlage différents. Mais, contrairement aux régions viticoles, les Armagnaçais ont fait de cette étape une de leurs compétences. Il n'existe pas, parmi les meilleurs producteurs, d'Armagnaçais qui ne se préoccupe de cette étape ultime. Le courant général semble favorable aux chênes de Gascogne, et s'ils ne possèdent plus leur propre tonnelier, certains possèdent leurs forêts, d'autres achètent les bois mais les font sécher eux-mêmes, ou surveillent de très près ceux qui en ont la tâche, etc... Le point de départ d'un élevage réussi semble contenu dans la texture du bois : en Gascogne on caresse le bois pour en sentir son grain. Il est un fait qu'un vin élevé en barrique, de par son faible degré alcoolique et son séjour plus court, ne sera en contact avec le bois qu'essentiellement avec sa surface avec une légère pénétration des tissus, donc avec des phénols chauffés et brûlés. Les eaux-de-vie, de par le long séjour, et leur fort degré alcoolique, vont imbiber un forte épaisseur des douelles, allant à la rencontre des tissus les plus au coeur du bois ; pas question d'en remonter amertume et autre défaut, il faut impérativement un bois sec, au tissu serré, le grain fin (cqfd).
L’entonnage : un séjour plus ou moins long
L'eau-de-vie de l'année sera donc entonnée dans ces nouvelles barriques (400 litres en général). Elles y séjourneront un temps variable ( de 8 mois à 5 ans) suivant la qualité du millésime, du cépage et de sa future destinée. Les eaux-de-vie destinées à un long vieillissement, et si le cépage est du Bacco, restent sous bois neuf près de 4 à 5 ans, alors qu'une eau-de-vie de Colombard destinée à un vieillissement court peut n’y séjourner qu'un an. Après ce séjour, les Armagnacs seront ré-entonnés dans des fûts plus âgés jusqu'à leur mise en bouteilles, ou jusqu'à ré-entonnage dans des fûts plus vieux dits "épuisés" c'est à dire qui ne rendront plus de bois. Il est difficile de dater un fût épuisé, cela dépend de la qualité des bois, du brûlage, et des eaux-de-vie qu'il a reçues au départ.
Alchimie du vieillissement
Les Armagnacs ayant atteint un vieillissement optimum, seront, en général, entonnés dans des bonbonnes en verre, ou des cuves en attendant l'heure de leur mise en bouteille ou assemblage.
Au cours de ce long vieillissement, aura lieu une oxydation lente des composés de l'eau-de-vie et notamment de l'éthanol en éthanal, et acide acétique: même en faible proportion, cela contribue à augmenter l'acidité de l'Armagnac . De multiples combinaisons auront lieu entre différents composés, alcools, aldéhydes, composés du bois... Le bois va léguer vanilline, lactones, furanes, aldéhydes, ...et tanins (structure mais également couleur). Les odeurs d'alambic (alcool à brûler) vont disparaître.
Un phénomène important tient en une double évaporation. Evaporation de l'alcool: c'est ce qu'on appelle la "part des anges", dont la perte sera fonction du temps de séjour en barrique (elle est de 2 à 4 % volume par an).
Evaporation de l'eau: moins rapide que l'alcool qui est plus volatile, elle infligera une perte conséquente de volume. Celle-ci est conditionnée par le taux d'humidité du chai.
Après cette double évaporation, la perte relative d'alcool se situe entre 1 et 1,5 % volume par an.
Cette état hydrique du chai a une importance capitale sur la qualité des Armagnacs. Si le chai est en saturation hydrique c'est essentiellement l'alcool qui s'évapore et les armagnacs ne pourront pas vieillir très longtemps sous bois car le degré alcoolique chute rapidement. A l'opposé, si le chai est sec, il favorise l'évaporation de l'eau ce qui a tendance à assécher les Armagnacs qu'il faudra, de plus, couper avec de l'eau pour en réduire le degré. (A l’extrême, si l'évaporation de l'eau est plus importante que celle de l'alcool, le degré final de l'Armagnac sera supérieur à son degré initial (cas rare mais parfois rencontré).
Dans la moyenne des chais, considérons qu'en 15 à 20 ans, le taux d'humidité est tel qu'une eau-de-vie entonnée entre 52 et 62 degré atteindra la quarantaine de degrés !
C'est, par ailleurs, pour cette raison que vous entendrez parler d'Armagnac réduit ou non réduit: un Armagnac dit "non réduit" a atteint naturellement le degré indiqué sur la bouteille, alors qu'un Armagnac dit "réduit" est coupé avec de l'eau distillée avec des "petites eaux" (mélange d'Armagnac et d'eau distillée, le tout élevé sous bois et titrant environ 25 degrés). Ceci permet de ne pas diluer exagérément les composés aromatiques et gustatifs.
Résumé
Vous possédez un hectare planté en Folle-Blanche. Vous récoltez 100 hectolitres de raisins dont vous devez vous assurer d'une qualité optimum.
Après fermentation, vous obtenez 7000 litres de vin à 8 degrés que vous distillez. Vous recueillez 1000 litres d'eau-de-vie à 56 degrés que vous entonnez. Là vous vous armez de patience, chaque année vous pouvez voir les futures bouteilles s'envoler l'une après l'autre, au fur et à mesure que le niveau des barriques baisse. Au bout de quinze ans il vous reste, si votre chai a une bonne humidité, 500 litres d'Armagnac .
Outre les dépenses de culture de la vigne que vous ne commencerez à vous rembourser que 15 ans plus tard, vous êtes l'heureux propriétaire de 750 bouteilles. Rendement final : 5 hectolitres hectares !
... à suivre ...
Fabian Barnes
In Vino Veritas
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Mots-clés In Vino Veritas , Barnes (Fabian) , eau-de-vie , Armagnac
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