Histoire : Les défaveurs du Libournais illustrées par l'histoire de Figeac
Histoire : Les défaveurs du Libournais illustrées par l'histoire de Figeac
Pomerol-Figeac ou le réveil tardif des belles endormies.
Après avoir passé en revue tous les vins de Bordeaux qu'il désigne comme appartenant aux première, seconde et troisième classe (tous les vins sont de la rive gauche), André Jullien, dans son ouvrage intitulé "Topographie de tous les Vignobles Connus" (édition de1866, la première était de 1816), s'attaque à la quatrième classe qu'il situe ainsi :"les vins qui composent cette classe, bien que pourvus de qualités, n'ont ni la finesse, ni la sève, ni le bouquet des vins fins proprement dit, et ne peuvent par ce motif être considérés que comme vins ordinaires de première qualité".
Dans son descriptif de la quatrième catégorie apparaissent donc comme les vins les meilleurs : Canon-Fronsac suivis de Saint-Emilion , pour le Libournais. Il cite enfin comme une sous-classe de cette dernière, Pomerol, entouré de Montagne et Saint Georges.
André Jullien (d'autres auteurs également) classe les vins bordelais, et les meilleurs se situent en fait sur les croupes de graves girondines.
Pourtant, les graves libournaises de Pomerol-Figeac échappent à son jugement. A cela nous trouverons plusieurs raisons.
Les Bordelais mènent la danse.
Lorsque De Pontac à Haut Brion lance la notion de vin de propriété vers les années 1660, les notables bordelais entreprennent leurs plantations dans le grenier de Bordeaux (ainsi nomme-t-on le Médoc qui n'a connu pendant des siècles que la culture céréalière) ; le Médoc a eu les honneurs des riches qui y ont bâti des châteaux. A Bordeaux , maires, sénateurs, président du conseil, président du Parlement, etc., ont eu, pour beaucoup d'entre eux, un rapport direct avec le vignoble médocain, soit par la propriété soit par le négoce.
A l'aube du classement de 1855, le bilan est lourd de conséquences.
Le Libournais a été délaissé et livré à une concurrence pas très équitable. Les négociants libournais, forts handicapés par la puissance et les privilèges de leurs homologues bordelais, n'ont pu développer davantage le Libournais et ont focalisé sur les vignobles les plus réputés : le plateau de Saint-Emilion et Canon Fronsac. Ils ont leur propre marché, essentiellement continental. Mais seuls les Anglais faisaient les prix des vins les plus chers et la cote des meilleurs vins libournais restait basse.
Pomerol tarde à trouver son identité viticole.
Pomerol ne comporte pendant longtemps quasiment que des métairies, et la commune ne compte qu’une faible surface plantée en vigne. Cette région a longtemps hésité entre la production de rouge ou de blanc. Plus d'une vingtaine de cépages différents peuplaient les règes. La culture de la vigne sur les graves n'était pas vraiment alléchante car difficile à travailler, pour preuve les noms "d'enfer" et "Trop d'Ennui" donnés respectivement à la croupe de Figeac et Trotanoy
Il faut attendre le 19ème siècle pour que la vigne descendant des sables de Saint-Emilion vienne remplir les graves de Pomerol et que les premiers domaines viticoles voient le jour. Les vignerons se décideront à ne cultiver que des rouges et limiter leurs cépages au Noir de Pressac, Bouchet (Cabernet Franc) et Merlot. Une vraie démarche viticole s'installe avec les Giraud à Trotanoy, Demay à Certan, Arnaud à Pétrus, etc…mais cela ne suffit pas face aux géants médocains.
La crise phylloxérique va inciter les vignerons à planter de la vigne sur les graves sableuses et les sables, plus en aval, car l'insecte ne s'y développe pas. Après la crise, ces vignes resteront et gonfleront ainsi la production de Pomerol, limitée jusqu'à lors aux haute et moyenne terrasses graveleuses. L'arrivée du chemin de fer met fin au handicap fluvial, et le Libournais retrouve son indépendance. Mais, fin 19ème et début 20ème, les vignerons subissent crise sur crise : maladies, fraudes et guerres.
Ce qui conduit Pomerol, en tant que région viticole, à ne rencontrer la célébrité que tard dans le 20ème siècle ; et l'arrivée des Moueix en 1962 n'est pas sans influence.
Figeac flanche quand il ne faut pas.
Figeac et sa Seigneurie, pourtant implantés depuis longtemps, auraient pu être l'ambassadeur des graves libournaises. Seulement, la propriété a connu dès le 19ème siècle un flottement dans sa gestion d'entité viticole et fit rapidement oublier son potentiel.
Il faudra attendre la fin du 19ème siècle pour que cette propriété et Cheval Blanc, qui faisait partie intégrante autrefois du vignoble de Figeac , confirment à nouveau la qualité de ces terroirs.
Trou noir à Figeac .
La famille De Carle mena la propriété de main de maître et en fit un des fleurons du vignoble bordelais. Au début du 18ème siècle, au sommet de sa gloire, le domaine compte 200 hectares.
A cette époque, dans la course au meilleur vin de bordeaux , Figeac n'a rien à envier aux ténors médocains : un château, un très grand domaine et de belles croupes graveleuses.
Les caprices de Napoléon coûtent cher aux vignobles.
L'économie bordelaise tenant à un fil suspendu à l'Angleterre fait grise mine. Mais les Anglais répondent au blocus en interdisant aux pays neutres tout accès aux ports français. Bordeaux va alors vivre des années noires. En 1810 les tensions semblent se détendre mais il faudra attendre 1823 pour revenir à une activité normale. Ces treize années ressemblent à un yo-yo d'état d'âmes et d'humeurs changeantes entre les relations des différents pays.
Raisins ou garance, finalement c'est toujours du rouge!
Pendant cette période de crise, beaucoup vont se battre pour survivre, ce qu'auraient certainement fait Elie de Carle ou le Général de Carle pour sauver le vignoble de Figeac . Mais Le Général de Carle cède la main à son héritier André De Carle-Trajet qui voit l'avenir de Figeac de toute autre manière.
Il lance donc la propriété dans la culture céréalière, l'élevage et surtout dans la culture d'une plante tinctoriale : la garance. Jusqu'à présent les industriels importaient le pigment rouge vif du Mexique. Mais, avec le blocus, l'opportunité de développer une production nationale était toute trouvée. André De Carles-Trajet organise non seulement la production de la plante mais en plus une industrie de traitement. Pour la vigne qui subsiste à Figeac , il préconise les cépages très productifs, l'utilisation des fumures à outrance, pour élever les rendements.
Ce qu'il n'avait pas prévu c'est qu'après le blocus, les industriels relanceraient leurs importations mexicaines.
Le démembrement de Figeac
Il meurt en 1825 et sa femme se retrouve responsable d'un grand domaine sans vie.
Le démantèlement de Figeac va commencer (signalons qu'André de Carle-Trajet s'était séparé avant sa mort de Beauséjour. Mais nous ne considérons, ici, que le grand domaine Figeac ). Elle vend en premier lieu toutes les vignes coincées entre l'affluent du Tailhas et Beauregard à Pomerol. (8 hectares environ sur sables).
Elle vend ensuite une douzaine d'hectares à La Marzelle, sur le glacis sableux. 4 hectares de graves sont vendus à La Conseillante. En 1832, elle vend au président Ducasse 16 hectares puis à nouveau une quinzaine d'hectares en 1838 : il en fera Cheval Blanc. Cette année-là, elle vend le domaine dont il ne reste plus que 131 hectares dont 18 en vignes. En 1842, les propriétaires vendent à leur tour. Le nouvel acquéreur, Guillaume Laveine, entreprendra la restauration de son vignoble. Mais il faudra attendre les années 1860 pour voir réapparaître Figeac en tête des vins de graves. Place qu'il partagera dorénavant avec Cheval Blanc.
Fabian Barnes
In Vino Veritas
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