Armagnac : Des techniques anciennes à l'oenologie moderne
Réussir un Armagnac aujourd'hui, c'est s'adapter à un cahier des charges qui, s'il n'est pas exhaustif, pose des règles protocolaires évitant la mésaventure. Certes, elles ont un caractère généraliste et en cela ne peuvent garantir qu'une qualité respectable des Armagnacs. Réussir un "grand" Armagnac, c'est optimiser ce protocole. Pour cela, il faut connaître parfaitement les sols, les cépages, la vinification, la distillation et l’élevage. "Impossible n'est pas Gascon". Si bon nombre d’Armagnacais ont eu des convictions industrielles reléguant la qualité des raisins et des vins au rang de superflu, condamnant la distillation à la production et interprétant l’élevage comme une coloration, il n'existe pas aujourd'hui de grand Armagnac dont le processus d'élaboration ait ignoré une seule de ces étapes. La meilleure des preuves est qu'il existe parmi les meilleurs Armagnacs des Armagnacs de négociants : Darroze, Samalens, Gélas..., tous suivent la qualité des raisins et des vins qui dicteront la qualité future de “ l'aygue ardente ”.
Le Sous Sol
Maîtriser la nature des sols. Voici une valeur fondamentale à la viticulture en général, qu'elle soit destinée à des vins ou à des eaux-de-vie. “ Elémentaire ” pourrait-on penser, car voilà le paramètre invariable, don ou disgrâce des dieux, qui dicte directement la qualité des raisins. C'est par ailleurs ainsi que l'on a disposé les limites des appellations. Il y a cependant un vice dans la démarche et j'en fait généralité aux appellations quelles qu'elles soient. En effet, partant du postulat que tel type de vin (ou eau-de-vie) est le meilleur, on en remonte les différentes étapes d'élaboration et, tous les viticulteurs employant les mêmes procédés, on arrive forcément à la nature des sols.
Là, on trace un cercle, et tout ce qui est bon est à l’intérieur, à l’extérieur se situe le moins bon.
Pourtant, on peut prouver le contraire. Il suffit d'en changer le postulat de départ.
Changer le type de vin préféré, ce qui reviendrait à changer la notion de goût, ne sert à rien, on arriverait au même résultat, et la mode s'en charge de toute façon.
Considérons ce que l'on sait : tel type de sol avec tel type de cépage et sous tel climat (l'ensemble s'appelle un terroir) favorisent telle ou telle qualité, et favorisent tel ou tel autre défaut.
Appliquons alors un protocole (de viticulture, oenologie, distillation et élevage) propre à l'optimisation des qualités qu’apporte tel ou tel terroir.
Revenons à l'Armagnac. Bien sûr que les grands Armagnacs sont issus du "Bas-Armagnac" et notamment des sables fauves. Ce terroir leur apporte une complexité inégalable au vieillissement. Le "Haut-Armagnac", avec son sous-sol calcaire, supporte mal le vieillissement, on obtient des Armagnac souvent secs et sur le bois.
Mais qu'en est-il des Armagnacs jeunes ? Un Armagnac de moins de huit ans (10 ans pour certains) issu du Bas-Armagnac (en distillation armagnaçaise s'entend) n'est pas dans sa meilleure forme : il est souvent lourd, très gras et alcooleux. Par contre, dans le Haut-Armagnac, à condition que le distillateur ne cherche pas à produire de vieux Armagnacs, on obtient de jeunes Armagnacs vifs, fruités et surtout floraux : frais, en résumé. Cette notion de terroir doit être considérée dans ce sens, et marquera certainement demain la conception qualitative de zone d'appellation en Armagnac et dans les zones viticoles en général. Un personnage l'a bien compris c'est Claude Posternak ( Château Néguebouc).
Les Cépages
Voici certainement la principale explication aux différences qualitatives entre tel ou tel domaine. Il existe, en effet, de nombreux cépages utilisés pour la distillation et représentés sur un même domaine et sur l'ensemble du vignoble armagnaçais, dans des proportions très diverses.
Donner une appréciation quantitative de ces proportions reste malheureusement trop aléatoire. A cela deux raisons : Premièrement, l'ensemble des vignes de la région n'est pas destiné uniquement à la distillation mais également à l'élaboration de vins de consommation.Deuxièmement, pour une même propriété, les proportions relatives de chaque cépage ne sont en rien représentatives des proportions de cépages entrant dans la constitution de l'Armagnac.
On peut cependant affirmer que le cépage le plus répandu sur l'ensemble de l'appellation est "l'Ugni-Blanc" pour presque les trois quart. Vient ensuite le "Bacco" pour un cinquième, le "Colombard" et la " Folle-Blanche" se partagent un vingtième et une palette de différents cépages en cours de disparition ou en cours de réimplantation tel que le "Jurançon", le "Plant de graisse", la "Clairette de Gascogne", le "Meslier Saint François", le "Mauzac", etc. Mais gardons à l'esprit qu'une propriété, à titre d'exemple, peut dénombrer le Colombard comme cépage principal des surfaces plantées, et la Folle-Blanche comme cépage majoritaire dans la constitution de l'Armagnac.
On peut trouver là une raison politique de l'évolution de la stratégie qualitative au cours du siècle : à une époque où il était difficile de combattre les agressions climatiques et cryptogamiques, le choix de l’Ugni-Blanc s'est largement imposé. En effet, il présente des qualités de résistance aux gelées, il n'atteint jamais la maturité cellulaire ce qui protège le raisin des attaques de champignons ou d'insectes ainsi que des risques d'oxydation des jus; de plus c'est un cépage vigoureux qui produit jusqu'à 150 hectolitres par hectare, ce qui est non négligeable pour la production d'eau-de-vie dont le rendement final est mince.
Quant au "Bacco", issu du croisement de la "Folle-Blanche" et du "Noah", c'est un cépage hybride, le seul autorisé dans une A.O.C. Il a tout juste cent ans et avait été mis au point lors de la lutte contre le Phylloxéra. S'il représente un cinquième de l’encépagement de la région, il est en fait représentatif du "Bas-Armagnac" et des sables fauves. Il est quasiment inexistant dans les deux autres régions. Nous trouverons ici plusieurs raisons: il est un fait que, le syndicat viticole avec l'INAO (qui régit les appellations d'origine) ayant voté sa disparition pour l'an 2012, les vieux pieds aient été remplacés par d'autres cépages et personne ne plante de nouvelles parcelles.
En même temps, c'est un cépage qui donne des eaux-de-vie dures quand elles sont jeunes mais superbes lors d'un long vieillissement. De ce fait, la région des sables, qui se distingue essentiellement par ses vieux Armagnacs, a très longtemps été conquise par ce cépage qu'elle a largement planté. Aujourd'hui, pour beaucoup de viticulteurs, sa future condamnation est perçue comme "épée de Damoclès".
Le "Colombard" est un cépage sensible à la pourriture mais il donne des vins plus riches en alcool.
Il a peut-être été introduit en Armagnac parce qu'il était présent dans les meilleurs Cognac; en tous cas, la viticulture armagnacaise étant, sur son ensemble, tournée vers la vinification de vins de consommation, le Colombard présente une qualité gustative que ne peut offrir un vin d'Ugni-blanc ou de Folle-blanche.
Le Colombard reste, néanmoins, un cépage difficile à maîtriser pour la distillation ; son degré alcoolique supérieur aux autres cépages ne présente pas d’intérêt pour la distillation qui préfère des vins peu alcooliques et sa capacité à atteindre la maturité cellulaire n'avantage pas le viticulteur face à l'oxydation des moûts qui ne pourront pas être protégés par l'emploi de souffre.
La "Folle-Blanche", certainement un des cépages les plus anciens d'Armagnac, était, avant le désastre Phylloxérique, le cépage principal de l'appellation . Il peut être nommé "Picquepoult" et est également connu sous le nom de Gros-Plant en pays nantais. Il doit représenter à peine un centième de l'appellation et, pourtant, il pourrait être sacré "roi" des cépages Armagnaçais. Ses eaux-de-vie sont incontestablement les plus fines, les plus élégantes et les plus complexes du "royaume". Maiiiiiiiiiis, parce qu'il y a toujours un "mais" : ce cépage demande beaucoup de soin, il est fragile et sensible à la pourriture et n'est pas le bon “ canasson ” pour les hauts rendements. Bref, il a essuyé les plâtres du marché qui a peu favorisé la "démarche qualité" depuis la replantation du vignoble, au début du siècle. Heureusement, les vignerons les plus courageux n'ont jamais perdu la foi et en sont, aujourd'hui, largement récompensés ( certains ne sont malheureusement plus là pour le voir) : nul doute qu'à La Flèche, l'acharnement de Léon Lafitte pour préserver ses "Folle-Blanche" a fait du "Domaine de Boingnères" le plus grand Armagnac de vigneron.
Les autres cépages cités (Jurançon, Meslier, Plant de Graisse, Clairette, Mauzac,...) sont aujourd'hui anecdotiques. Ils ont une réalité expérimentale, fruit des recherches menées, dans la collaboration du BNIA (Bureau National Interprofessionnel d’Armagnac) avec les scientifiques et les vignerons, afin de concrétiser la longue quête du cépage idéale, ou d'un assemblage de cépage idéaux. Pour beaucoup, leur existence se chuchote, mais pour d'autres comme Yves Grassa (Château de Tarriquet), on s'investit dans cette quête : il est vrai que l’expérimentation n'aura de vraie valeur que lors de la dégustation des eaux-de-vie vieillies pendant cinq, dix, quinze, vingt ans et pour cela il faut planter. On dit que le Plant de Graisse serait le plus approprié à remplacer le Bacco.
Fabian Barnes
In Vino Veritas
D'autres articles contenant ces mots
Mots-clés In Vino Veritas , Barnes (Fabian) , eau-de-vie , armagnac
Derniers commentaires
→ plus de commentaires