Armagnac : va-t-il disparaître?
L’Armagnac , va-t-il disparaître ?
En un siècle de viticulture et distillation, un des plus grands vignobles à été petit à petit grignoté pour atteindre aujourd’hui à peine plus de 2500 hectares en production. Quelles en sont les raisons ? L’organisation de la profession n’a pourtant pas été plus lente que d’autres, au contraire.
Conjoncture, stratégie, concurrence, politique ?
Survolons les temps forts de l’histoire qui ont remodelé le paysage gascon.
Après les crises dévastatrices qu’ont causées phylloxera, oïdium, mildiou, black-rot … sur le vignoble Armagnacais comme sur l’ensemble du vignoble français, l’heure fut à l’arrachage et aux replantations.
Comme l’écrivit le professeur Denis (Université de Bordeaux II), ces crises ont eu tout de même un point positif : elles ont permis une restructuration des vignobles autour de noyaux centralisant des notions de terroir.
L’histoire montre que les terres inadéquates au vignoble n’ont jamais été replantées. La nature s’est en quelque sorte imposée comme “législateur ”.
Sans ces crises, l’ensemble des vignobles, dans un souci de viabilité corrélé à une démarche qualitative, aurait été acculé à l’arrachage de nombreuses parcelles.
Mise en place d’une législation
Malheureusement, si la nature sait être expéditive, l’homme a besoin de temps pour changer ses habitudes, parfois plusieurs générations. Dans la panique générale qu’ont causée ces crises, la fraude a été le premier palliatif.
Les Armagnacais n’ont pas échappé à la règle et, excédés par le zèle débordant des fraudeurs, vont tirer la sonnette d’alarme.
Ainsi les Gascons se réunissent dès 1907 pour mettre en place la première ébauche d’une réglementation.
Leurs efforts seront récompensés, entérinés par le décret de 1909 dit décret Fallières (du nom du président français propriétaire en Ténarèze).
Celui-ci définit une liste exhaustive des communes, à cheval sur les trois départements que sont les Landes, le Gers et le Lot et Garonne, pouvant prétendre aux appellations “Armagnac ” ou “ eau-de-vie d’Armagnac ”. Ce décret précise que les vins doivent être récoltés sur ces communes et souligne les dénominations Bas Armagnac , Haut Armagnac et Ténarèze.
Certains marchands, adaptant leur stock aux besoins du marché, il a été nécessaire d’interdire la détention d’eaux de vie d’appellations différentes dans un même chai : en 1929 naîtra le terme “chai jaune d’or ” de la couleur des documents obligatoires d’accompagnement au transport.
En 1935 est créé en France l’Institut National des Appellations d’origine.
Les Armagnacs feront partie des premiers wagons puisqu’en 1936 naissent les AOC Armagnac , Haut Armagnac , Ténarèze et Bas Armagnac . Le décret d’appellation reprend celui de 1909 et précise les modes opératoires de distillation, qu’ils soient “ continus ” (alambic Armagnaçais) ou “ à repasse ” (alambic Cognaçais).
Quelques années plus tard, la guerre va déstabiliser le vignoble et son organisation ; la pénurie relance quelque peu la fraude. Le gouvernement de Vichy va alors confier aux Gascons l’organisation de leur profession afin, entre autres, de sauvegarder les stocks qui diminuaient rapidement pour cause “d’effort de guerre ”. En effet, les eaux de vie d’Armagnac (de même pour Cognac) alimentaient les véhicules de la Résistance.
Ainsi naquit en 1941 une des premières interprofessions : le Bureau National de l’Armagnac .
Jusqu’à présent, les professionnels devaient être entendus à Paris, dorénavant, l’organisation régionale va pouvoir accélérer. En 1943 ils décident que seul l’alambic Armagnaçais est autorisé (l’alambic charentais sera autorisé à nouveau en 1972). En 1956, ils fixeront les dates de début de distillation (septembre) et de fin de distillation (31 mars).
En 1962, le B.N.A cède la place au B.N.I.A (Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac ) qui accède à beaucoup plus de responsabilités et d’indépendance dans la gestion du vignoble.
Dirigé par les représentants des différentes professions de la filière (vignerons, distillateurs, négociants et courtiers), celui-ci devra dorénavant gérer différents postes tels que la communication, le conseil et l’assistance technique, la formation, la recherche, le contrôle qualité, la gestion des données statistiques de la production et du marché, ainsi que la gestion des subventions. Il est un des garants de l’A.O.C.
En 1965 seront définis l’emploi des mentions telles que X.O, V.S.O.P, Vieille Réserve, Napoléon … littérature qui devenait plutôt encombrée.
Plus tard, différents décrets préciseront le protocole de distillation, la qualité des vins, l’interdiction d’utilisation du SO2, la liste exhaustive des dix cépages autorisés, les degrés alcooliques minima et maxima de distillation etc.…
En suivant cet historique, on suit très parallèlement son économie. Quand celle-ci était florissante, les Gascons s’appliquaient à combattre les fraudes puis la vapeur se renversa, l’économie piétina et ce sont les politiques et directives qualitatives qui furent à l’honneur.
Harcèlement Bureaucratique
Lorsque l’eau de vie était le sujet de transaction confortable, le percepteur, à l’affût de mines d’or, a été pionnier dans l’exploitation du filon. Malheureusement, la source est aujourd’hui tarie ; la fiscalité est un véritable boulet pour les Armagnaçais ; épreuve surenchérie par une succession de mesures terrassantes des fonctionnaires de la Santé.
L’administration, dans son ensemble, leur tourne le dos et pourtant, l’ordinateur n’est pas nécessaire pour dévoiler que l’Armagnac est en voie de disparition.
Pourquoi faut-il toujours attendre l’extinction pour mobiliser les autorités autour de plans de sauvetage ?
Dès le 15ème siècle, apparaissent les premières taxes sur les marchés d’eau de vie et elles se cumuleront inlassablement jusqu’à la fin de notre ère.
Imposées en pleine effervescence du marché de l’eau-de-vie blanche, certaines taxes n’ont jamais été réactualisées. Ainsi, les stocks, qui sont un des éléments fondamentaux de la qualité et de la notoriété de l’appellation , sont imposés. Ceci, dans la conjoncture actuelle, constitue une absurdité. De même pour la taxation des stocks à la succession.
Le gouvernement français qui depuis une dizaine d’années s’est fixé comme directive primordiale la sauvegarde du patrimoine, doit posséder une carte de l’hexagone trouée comme du gruyère. Les seuls garants de ce patrimoine gascon ne sont pour l’instant que les Armagnaçais eux-mêmes.
Parallèlement, les Armagnaçais devront subir un ensemble de mesures nationales et européennes discriminatoires.
En 1987, le traité de Rome catalogue l’Armagnac comme produit industriel. Soit nos fonctionnaires ont, à l’époque, recensé tous les appareils ou bâtiments dotés de cheminées, soit ils ont appliqué la définition du “ Larousse ” auquel cas les omissions sont nombreuses.
On trouve par exemple au chapitre “produits uvaux ”, c’est à dire de transformation naturelle : “ moût de raisin concentré ”, “moût de raisin muté à l’alcool ”, “vin mousseux gazéifié ” etc.… Quelle qu’en soit la raison, les Armagnaçais ont été définitivement écartés des aides et subventions agricoles, dont le fameux F.E.O.G.A, que l’on sait mère nourricière de bien des vignobles loin d’être des portes drapeaux.
Plus tard, classé à un haut niveau de nocivité, l’Armagnac est montré du doigt comme un des responsables de l’alcoolisme et doit en payer la facture sociale.
Il est vrai que l’Armagnac envahit les linéaires de supermarché et qu’il est la boisson officielle de tout “night club ” qui se respecte !
Curieusement, confiserie, walkman et jeux vidéo ne sont pas taxés en faveur de la Sécurité Sociale. Pourtant, ils ne sont pas sans conséquences sur la dette sociale.
Pour coiffer le tout, on a rajouté une petite couche de “loi Evin ” pour être sûr que les générations à venir ne connaissent le mot Armagnac qu’à la page “fossiles ” de leur livre d’histoire.
... à suivre ...
Fabian Barnes
In Vino Veritas
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Mots-clés In Vino Veritas , Barnes (Fabian) , eau-de-vie , Armagnac
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