Culture : Lutte raisonnée, tout le monde en parle
Lutte raisonnée, tout le monde en parle
Voici près de cent cinquante ans que le vigneron se doit de protéger sa vigne chimiquement. Héritage d'une époque où les hommes aimaient ramener toutes sortes de trouvailles des autres continents, pendant que certains démontaient les temples pour en ramener des souvenirs, d'autres ramenèrent des plants de vignes. Malheureusement il y avait des clandestins à bord : Phylloxera, Mildiou, Oïdium, black Rot, tous ont un passeport américain.
C'est à ces occasions malheureuses que l'on cherche une issue par la chimie : souffre puis cuivre viendront à bout de l’Oïdium et du Mildiou ; c'est le début des traitements chimiques.
Industrialisation et écosystème ne font pas bon ménage
L'introduction dans l'environnement de ces produits exogènes perturbe le biotope et prépare le terrain à de futurs assaillants. L'industrialisation viticole n'est pas sans effets sur la multiplication et l'accroissement des attaques, et de fait, des traitements. Au contraire, les besoins productivistes épuisent la plante qui se fragilise. Ces mêmes besoins rabotent le paysage, "pousse-toi de là que j'm'y mette", les bois, lisières, talus disparaissent. Avec eux disparaissent les prédateurs naturels des insectes et des autres parasites.
De surcroît, la mécanisation des travaux en verts prépare encore mieux le terrain des hostilités en offrant aux parasites plaies, cassures et déchirures.
Les parasites sont aujourd'hui nombreux : Esca, Eutypiose, Cochylis, Eudémis, acariens, tétranyques, cicadelles, Thrips, cochenille, nématodes, Cigarier, etc …
La vigne a, elle aussi, ses intraveineuses.
Dans les années 1970, la science déborde de créativité et met au point les produits de traitement dits "systémiques", plus efficaces, beaucoup plus fiables : finis les traitements de surface, maintenant on rentre dans la plante.
Les chimistes s'éclatent et, bien avant les shampooings ou lessives, ils inventent les traitements à doubles, triples, quadruples action phytosanitaire.
La vigne atteint un stade de surmenage inquiétant, elle est couverte en surface et en sous-cutanée d'un voile de chimie de synthèse permanent. C'est un peu comme si nous, êtres humains, prenions systématiquement et toute l'année des gélules couvrant à la fois maux de tête, angines, grippes intestinales… Juste au cas ou !
A la fin du deuxième millénaire, le vigneron, et l'agriculteur en général, qui se voudrait être encore un artisan, n'a bien plus que son béret pour nous en convaincre.
C'est tellement gros que personne n'y croit.
Cette exploitation sans ménagement des jardins de Saint-Vincent, déformant le métabolisme de la plante, accroissant sa fragilité et touchant à sa viabilité, touche aussi deux points particulièrement sensibles : les résidus phytosanitaires qui se retrouvent dans les vins, et les rejets polluant la nature.
Il y a bien longtemps que les accros de la bio ou du respect, tout simplement, ont compris les dangers de cette course frénétique à la production et tâchent de le faire savoir. Malgré cela, les émules sont loin d'être les plus nombreux, même aujourd'hui. Ce n'est pas faute d'organisations de "réveil des consciences", Greenpeace, Slowfood ou José Bové,… la diversité ne manque pas. C'est faute d'intérêt public dans toute l'étendue de son sens : celui qui revêt une dimension médiatique avec ses rebondissements économiques et ses rebondissements politiques. Sans cela, on n'y croit pas.
Une goutte d'eau faisant déborder un océan.
Mais aujourd'hui, nous sommes servis : au premier décès dû à la Vache-Folle ; la machine se met en route à la vitesse d'une combustion nucléaire et la scène politique fait salle comble. Le spectacle est géant. Spectacle de la démesure ou chacun y va de sa propre exagération. Une nouveauté cependant, les spectateurs participent : les consommateurs sanctionnent et tout ce qui ressemble de près ou de loin à du bio est pris d'assaut.
Cela n'arrive pas qu'aux autres.
L'agriculture se sent nettement concernée par ce qui est arrivé et pour cause : difficile de montrer patte blanche quand on est le plus gros pollueur du réseau hydrographique. Alors la branche s'organise, des fois qu'il lui arriverait les mêmes bricoles. Pour l'occasion, elle jette un coup d'oeil à ce que d'autres ont toujours fait, notamment en lutte biologique et en lutte intégrée (née en 1977).
Rassurer, rassurer et surtout …. assurer !
Mais tout cela est beaucoup trop loin, ce qu'il faut c'est rassurer…et assurer que les porte-monnaie restent ouverts ! Pour cela il y a la communication. Les publicitaires connaissent la chanson, depuis plus de trente ans qu'ils communiquent pour les grands groupes industriels en faveur de la protection de l'environnement. C'est du réchauffé, d'accord, mais encore une fois, ça marche, l'agriculture invente "l'aménagement progressif de la lutte chimique" : LA LUTTE RAISONNEE.
Et surtout on ne se mouille pas !
" Lutte Raisonnée", deux mots qui permettent de s'acheter une conscience - deux mots qui vont permettre à l'économie de suivre son cours, en tout cas de lui accorder un sursis - deux mots appartenant à l'art du discours mais bien peu de l'action, la définition du ministère de l'agriculture ne peut pas être plus claire : "phase d'approche de la lutte intégrée, consistant en un aménagement progressif de la lutte chimique, grâce à l'utilisation des seuils de tolérance économique et à l'emploi raisonné de produits de traitements spécifiques ou peu polyvalents."
" Phase d'approche" et "aménagement progressif" : on n'est pas arrivé et on va prendre son temps.
" seuils de tolérance économique" kécekecé ? : Et bien entre balancer trop de produit et juste ce qu'il faut, il y a une fourchette, c'est ça la tolérance.
" emploi raisonné": signifie de vérifier entre autre que c'est le produit adéquat au traitement, qu'il faut vérifier les dosages et ne pas jeter les emballages dans le ruisseau ! (ce n'est pas moi qui le dit, voir ci-dessous les "billets d'humeur")
La Lutte Raisonnée se veut en amont de la Lutte Intégrée, difficile de s'en convaincre à la lecture de la définition de cette dernière : "système de lutte aménagée qui tient compte des particularités du milieu, et qui utilise toutes les techniques et méthodes appropriées pour maintenir les populations d'organismes nuisibles à des niveaux où ils ne causent pas de dommages économiques."
Si la Lutte Intégrée donne droit à la vie aux populations du biotope, mêmes aux parasites, la Lutte Raisonnée, elle, donne droit à la vie à l'économie agricole en priorité !
L'Agro-dollar est roi et il le restera.
Epilogue
La lutte raisonnée, sans majuscules, est une philosophie dont les actions peuvent se traduire en Lutte Intégrée ou en Lutte Biologique. Beaucoup de vignerons raisonnent leurs traitements ainsi, depuis longtemps, et sans se réclamer d'aucune étiquette. En revanche, la Lutte Raisonnée, avec majuscules, devient un label de respect de l'environnement et, à ce titre, il est abusif. Parce que si le simple fait de respecter les consignes prescrites par le fabricant sur les emballages est un gage écologiste, alors nous sommes 4 milliards d'écologistes sans le savoir.
Fabian Barnes
In Vino Veritas
D'autres articles contenant ces mots
Mots-clés In Vino Veritas , Barnes (Fabian) , culture
Derniers commentaires
→ plus de commentaires