Vinification : L'oenologie et les progrès de la vigne
Non pas une Oenologie mais trois
Enoncer toutes les découvertes, mises au point et inventions de ce siècle ne tiendrait pas dans notre revue. Et toutes ne seraient pas forcément captivantes. Néanmoins on peut tracer les grands axes qu’ont pris ces recherches.
On peut considérer qu’il n’y a pas eu une œnologie mais trois : trois œnologies différant par leurs objectifs.
- La première serait une oenologie “gendarme” des vignobles, servant la législation. Souvent menée par les laboratoires des services des fraudes, elle s’attache à révéler des pratiques culturales et oenologiques non conformes à la réglementation et qui ne sont prouvables qu’en flagrant délit. Ainsi, on peut aujourd’hui révéler, par l’analyse du vin, la présence dans le vignoble de pieds hybrides (Aujourd’hui complètement disparus). On peut révéler l’ajout d’eau dans les vins. La chaptalisation qui devenait trop souvent un cache misère, devait pouvoir être détectée la mise au point d’un protocole d’analyse en RMN l’a permis.
- La seconde oenologie serait curative. A chaque étape des vinifications, de l’élevage et du conditionnement il y a un risque d’accident. Nombreux sont les chais qui en ont rencontré un ou plusieurs. Il s’agissait donc de rendre réversible la phase accidentelle, ou tout au moins, d’adoucir ses conséquences gustatives et olfactives sur le vin. A ce chapitre, on répertorie les vendanges contenant trop de pourri, les arrêts de fermentations alcooliques, les départs de fermentations malo-lactiques sur marc, toutes les contaminations levuriennes ou bactériennes, les excès de cuivre ou de fer, les manques d’acidité, les refermentations en bouteilles, etc. Là, toutes les opérations sont maîtrisées : du simple écoulage d’une cuve démarrant sa malo sur marc, au plus compliqué traitement au ferro-cyanure de Potassium d’un vin trop riche en cuivre.
- Une troisième oenologie, certainement la plus intéressante pour nous, consommateurs: la préventive. Il s’agit, d’une part, connaissant tous les accidents possibles, d’anticiper, en réduisant ou éliminant les facteurs malchance qui y concourent. Il s’agit, d’autre part, tenant compte de toutes les variables naturelles coexistantes (cépage, âge des vignes, sous-sol et sol, climat, type de chai, levures, bactéries, cuves, barriques, etc.) d’optimiser la gestion de toutes ces variables afin d’en tirer le meilleur raisin et le meilleur vin.
De toutes les recherches, certaines ont fait faire de petits pas, d’autres de plus grands, mais quelques-unes unes ont fait faire des pas de géants à l’oenologie.
La maîtrise de l’anhydride sulfureux
Le SO2 est le point capital, stratégique, de l’oenologie, car sans lui l’oenologie telle qu’on la connaît, n’aurait peut-être pas existé. Il est le garant de la qualité des moûts, des vins et de leur conservation. Souvent utilisé de façon excessive par ignorance, il est aujourd’hui parfaitement connu, maîtrisé et employé. Même si, parfois on lui a trouvé un ou des remplaçants dans certaines opérations, il reste indispensable aux vinifications.
Les rôles que joue le SO2 sont très nombreux et on pourrait en découvrir encore. Il trouve son équilibre en étant présent sous deux formes (SO2 libre et SO2 combiné).
SO2/Levures. Il retarde la fermentation en inhibant les levures. On sait cependant aujourd’hui, qu’à faible dose, il peut, en apportant de l’oxygène aux levures, être activateur de cette fermentation. Il sera même déclencheur de la fermentation dans le cas de vendange botrytisée riche de toxines bloquant l’activité des levures. On s’est aperçu que dans ses combinaisons avec les levures, il pouvait donner naissance à des dérivés sulfurés aux odeurs de chou, oeuf pourri, mercaptan… Cette découverte a notamment permis de maîtriser les fermentations des blancs secs en barrique et surtout les élevages sur lies. Car c’est en milieu réducteur que ces phénomènes apparaissent.
SO2/Bacteries. Beaucoup plus inhibiteur des bactéries que des levures, il a permis, sans le savoir, et pendant des années, de retarder les fermentations malo-lactiques jusqu'à ce que les fermentations alcooliques et éventuelles cuvaisons soient terminées.
SO2/O2. En fixant l’oxygène, il évite l’oxydation du substrat. C’est sa forme SO2 libre qui agit, mais c’est une réaction lente. Elle sera donc efficace dans le cas des vins mais pas dans les moûts. Recherché, notamment, pour la stabilité de la matière colorante, on s’est vite rendu compte qu’il pouvait aussi avoir un rôle négatif en fixant les anthocyanes (perte de couleur). Tout l’art consiste donc en une dose bien quantifiée du SO2, et une aération mesurée des moûts, afin que le SO2 s’en tienne à ne fixer que l’oxygène.
SO2/Oxydase. De la baie ou des levures, le parc enzymatique est important. Dans les phénomènes oxydatifs les enzymes, les plus réputés, sont la Tyrosinase et la Laccase.
A l’origine de fortes altérations des moûts, leur présence doit être décelée et leur activité stoppée. Autant la Tyrosinase est sensible au SO2 et est annihilée aux doses contenues dans le vin, autant la Laccase est fortement résistante. Seule la fixation de l’oxygène par le SO2 permet d’inhiber son activité.
Le SO2 est également connu pour ses différents effets sur l’éthanal qu’il combine, sur certains arômes qu’il préserve, sur certaines odeurs, issues de vendanges pourries, qu’il inhibe, etc.
La maîtrise des phénomènes oxydatifs
La maîtrise des phénomènes oxydatifs est loin d’être la plus évidente. Impalpables, invisibles, ses dégâts peuvent être des plus désastreux. Qu’ils soient physico-chimiques ou biochimiques (enzymatiques), ils sont présents dans la baie encore sur pied jusqu’au vin en bouteille.
Ils concernent tous les constituants du raisin et du vin et conditionnent toutes leurs transformations, de la cueillette à la mise en bouteille et vieillissement, en passant par les foulages, pressurages, fermentations, écoulages, élevages…. .
Si la recherche en ce domaine a, dans un premier temps, essayé d’éviter les accidents qu’ils peuvent causer, dans un deuxième temps, ce sont tous les phénomènes oxydatifs non soupçonnés qui sont passés au peigne fin. Ces nouvelles recherches ont permis de révéler les précurseurs d’arômes jusque là ignorés, ainsi que les stabilités et qualités phénoliques des tanins et des anthocyanes (couleur).
Plus encore d’actualité, la maîtrise de ces phénomènes permet de limiter l’utilisation des composés antioxydants et antioxydases (dont le SO2), et permet à certains vinificateurs de vinifier de superbes blancs sans aucune utilisation de SO2.
La maîtrise des phases fermentaires (levures et bactéries)
Ici, ce n’est pas la connaissance du métabolisme levurien ou bactérien dans sa totalité qui a été une phase importante des acquisitions oenologiques de ce siècle, mais la maîtrise de toutes les variables conditionnant ces métabolismes. Garantir le parfait déroulement des fermentations alcooliques et fermentations malo-lactiques est, aujourd’hui, acquis. Des premières variables étudiées que sont la température, la concentration en sucre, l’acidité, le pH, on maîtrise aujourd’hui les facteurs de croissance et les toxines inhibitrices.
La maîtrise de la maturité
Enfin, l’appréciation de la maturité est très certainement la discipline clé de toute vinification réussie et de la qualité des vins. Positionnée à la charnière entre la viticulture et les vinifications, elle dépend entièrement de la qualité du raisin et conditionnera le déroulement des opérations en aval des vendanges.
La maturité physiologique, appréciant le rapport sucre/acidité, a été un premier “dégrossissement” de la notion de maturité. On a dû rapidement tenir compte des maturités phénoliques : il existe différents tanins et leur qualité conditionne celle des vins. Enfin la maturité cellulaire a fait son apparition. Les premiers travaux, et les plus célèbres, sont ceux concernant le sauvignon blanc et la révélation des précurseurs d’arômes contenus dans sa pellicule. Ces recherches ont été généralisées aux autres cépages et on travaille, aujourd’hui encore, sur les pyrasine et thiol des raisins noirs.
Que nous réserve l’œnologie de demain ?
Il y a deux choses dont nous sommes sûrs. La première tient au fait que si tous les constituants connus et répertoriés dans l’analyse d’un vin étaient rassemblés dans un même flacon et dans les mêmes proportions, on serait encore loin du goût du vin analysé. En ce sens, on peut imaginer l’espace qu’il reste encore à la découverte. La seconde tient aux mêmes raisons existentielles de l’oenologie que nous avons traitées précédemment, à savoir les contextes culturels, sociaux et économiques.
Le moins que l’on puisse dire est que la population de cette fin de siècle s’attache de plus en plus à “dame nature” et favorise toutes les démarches abondant en ce sens.
Dans les laboratoires et les vignobles, les mentalités évoluent à la même vitesse et sont même parfois avant-gardistes. Voilà certainement une quinzaine d’années que des sujets tels que les résidus phytosanitaires, les rejets des effluents vinicoles… ont fait l’objet de nombreuses recherches et publications. Restées longtemps tabous, ces études sont aujourd’hui en pleine actualité ; “vin bio” et “lutte raisonnée” dont on parle si souvent aujourd’hui en sont la preuve.
Nous avons demandé à Yves Glories* quelle était, pour lui, la plus grande découverte des sciences œnologiques. Sa réponse : “avoir compris que le vin se fait dans la vigne”.
Nous ne pouvions attendre de meilleure réponse. Elle résume en effet les directives que se sont donné les scientifiques au cours du siècle : en premier lieu, ce sont les problèmes de vinifications et d’élevages qui appelaient des connaissances, l’oenologie est devenue la spécialité du chai. Aujourd’hui ces opérations sont tout à fait maîtrisables et il est possible de les influencer. Ces connaissances oenologiques ont permis de déplacer la qualité des millésimes vers le haut : un millésime autrefois mauvais est aujourd’hui un millésime moyen ou bon, un bon millésime autrefois est aujourd’hui un très bon millésime ou exceptionnel, seul un millésime autrefois exceptionnel ne sera pas plus exceptionnel aujourd’hui. Pour cause, le point commun à toutes les recherches à été de “buter” sur la qualité de la matière première. Ce constat, dans les esprits depuis les années 90, s’est traduit par un très nouveau suivi des vignobles. C’est la vigne qu’on bichonne aujourd’hui, parce que, finalement faire du vin, n’est plus si compliqué !
Nous lui avons également demandé quelles seraient les futures réflexions et recherches au prochain millénaire. Ce à quoi il nous répondu “qu’est-ce que le terroir ?”. Il est certain que cette notion de terroir a bien évolué au cours du siècle. Au départ, le terroir désignait les sols. On y a rajouté les climats. Dans les années 70/80, la symbiose du sol, du climat et du cépage est désignée par ce terme. Aujourd’hui, on serait tenté d’y associer levures et bactéries indigènes. Enfin, nous lui avons demandé un sujet de recherches en cours qui verra le jour au prochain millénaire : “les O.G.M et la vigne transgénique pour lutter contre les maladies phytosanitaires”. Si le terme “transgénique” fait bondir plus d’un consommateur, cette démarche vise à faire un vin toujours plus naturel. Depuis des lustres, la vigne est traitée en préventif ou curatif pour combattre les maladies, et les résidus des traitements ont toujours existé. Aujourd’hui, les traitements sont beaucoup mieux maîtrisés et considérablement réduits, mais la recherche sur des produits de traitement inoffensifs ne laissant aucun résidu dans le raisin ni le vin, piétine. Une solution serait en effet de modifier les génomes de la plante afin qu’elle soit naturellement résistante.
Yves Glories est professeur et Directeur de Laboratoire à l’Institut d’Oenologie de Bordeaux , il est un grand spécialiste des raisins noirs, de ses composants phénoliques et de leurs transformations.
Fabian Barnes
In Vino Veritas
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