Vin : les levures sont gourmandes
La levure est gourmande et capricieuse
La transformation du sucre en alcool n'est pas une réaction chimique simple catalysée par les levures. C'est une transformation biochimique qui est un des résultats du métabolisme de la levure . Il est évidemment celui qu'on recherche, pour cela, il faut veiller à ce que le milieu y soit favorable.
Les levures sont des êtres vivants, non éternels, elles vont croître, se multiplier et mourir.
Leur nombre gigantesque (107 cellules par ml) nous oblige à considérer la biomasse levurienne.
La vie de cette biomasse dans la cuve passera par trois phases : une phase de croissance et de multiplication cellulaire pendant 2 à 5 jours, une phase stationnaire (population identique) inférieure ou égale à une semaine, et une phase de déclin dont la durée est assez variable.
Ce cycle est d'une importance capitale. C'est évidemment lui qu'il faut surveiller tout au long des vinifications car il est fragile et les éléments perturbateurs sont nombreux.
Pour un vinificateur, la principale inquiétude est celle des fins de fermentation.
En effet, si le moût de raisin contenait moins de 200 grammes de sucre par litre, en principe la totalité serait dégradée en phase de croissance et phase stationnaire. C'est l'épuisement en sucre qui enclencherait la phase de déclin. Mais en réalité, il y a plus de 200 grammes de sucre, plutôt autour de 220 grammes à Bordeaux (12°5) et 240 grammes en Bourgogne (13°).
Ici, les deux premières phases ne suffisent pas à dégrader tous les sucres et la fin de fermentation dépend de l'état physiologique des levures.
Or, il n'est pas question de risquer un arrêt de fermentation qui, outre engendre des manipulations supplémentaires, favorise l'acidité volatile et, dans le pire des cas, un départ de fermentation Malo-lactique sur marc.
Aujourd'hui, grâce aux nombreuses études menées sur les levures et les processus fermentaires, on peut établir un cahier des charges à respecter afin d'optimiser ces fermentations et éviter de mauvaises aventures.
Quelques exemples :
Bien gérer la température est un atout. Le départ en fermentation ne se fera pas ou mal si la température est trop basse, et à température trop élevée, la fermentation va s'emballer.
Une température de 20/22 ° semble correcte pour démarrer la fermentation. Sachant que celle-ci produit de la chaleur, la température de la cuve va s'élever et il faudra alors essayer de la maintenir autour de 30°maximum (au-delà, la fermentation peut s'arrêter). Si ces températures se prêtent à la vinification en rouge, elles sont excessives pour les blancs car, au-delà de 20/22°, on perd les arômes secondaires de fermentation. Les blancs, pour une optimisation aromatique, sont fermentés plutôt à basse température. De ce fait, les départs sont plus longs et les fermentations à suivre de près.
Dans la vinification des vins rouges, une cause d'arrêt ou de mauvais développement de la flore levurienne est un manque d'O2 au départ, c'est pourquoi on procède à une aération du (au) moût du 2ème jour de fermentation en général.
La composition du moût de départ est primordiale au bon développement des levures. Certains éléments sont indispensables à sa croissance :
- L'azote, sous forme ammoniacale, qui est la base de l'édification des acides aminés et protéines rentrant dans la composition de la structure de la levure et de son parc enzymatique.
- Certaines vitamines comme les vitamines B, la thiamine, sont indispensables, ainsi que des stéroïdes comme les stérols et acides gras.
Si le vinificateur est peu inquiété de la concentration dans le moût de ces éléments dans la vinification en rouge, il l'est par contre pour les blancs. En effet, bon nombre de ces éléments sont, soit contenus dans la peau du raisin, soit sur la pruine, soit fabriqués par les levures dans leur métabolisme aérobie, c'est à dire avant fermentation. Dans le cas des vinifications en rouge, tous ces éléments sont dans la cuve. Par contre, en vinification de vin blanc, il n'y a pas de macération du jus et des pellicules pendant les fermentations. De plus, pour des qualités gustatives, les jus sont en partie débourbés (clarifiés). Ces bourbes contiennent la majorité de ces constituants, indispensables. Il faut alors surveiller cette opération pour en maintenir une concentration raisonnable.
Evidemment, les chais ne sont pas transformés pour autant en laboratoires à éprouvette, non, on ne dose pas la concentration en azote, stérols ou autres. Ces connaissances de la levure sont mises en pratique à travers des modes opératoires préétablis qui permettent de rester dans une fourchette raisonnable de concentrations pour la bonne conduite des fermentations. Chaque vinificateur avec l'expérience de ses jus affine son mode opératoire.
Les "p'tits plus" de madame Levure
Certains penseront que pour un amateur de vin, le métabolisme de la levure est sans intérêt mais ils ne seront pas indifférents à comprendre l'origine de certaines sensations olfactives ou gustatives qu'ils peuvent avoir. C'est pourquoi cette présentation technique était nécessaire.
La levure transforme le sucre en alcool mais le vin n'est pas une variante de jus de raisin enrichi en ethanol.
Gustativement, le vin (avant fermentation malo-lactique) diffère du jus de raisin parce qu'il n'est plus sucré, il apporte parfois une sensation saline, il est moins acide et pour les vins rouges ils présentent des tanins moins grossiers que ceux de la pellicule. On leur prête les attributs suivants : rond, suave, chaud, gras…
Olfactivement on a perdu une partie de l'intensité du fruit mais on a obtenu une palette aromatique beaucoup plus complexe.
Dégustez de l'éthanol, certes, vous reconnaîtrez beaucoup de sensations (normal, il y en a quand même environ 12% dans le vin) mais cet alcool ne peut, seul, tout expliquer.
La levure dans son métabolisme, par sa complexité et ses imperfections, va donner naissance à bon nombre de constituants divers.
Tout au début, la fermentation n'est pas alcoolique, elle est dite "glycéro-pyruvique". Celle-ci agit comme un allumage de la fermentation alcoolique. Et, comme son nom l'indique, elle produit des glycérols et de l'acide pyruvique donnant naissance à de l'éthanal et des alcools supérieurs. Au cours de la fermentation alcoolique, la fermentation glycéro-pyruvique est très amoindrie mais se poursuit.
Le SO2 favorise cette fermentation glycéro-pyruvique, les moûts les plus sulfités y sont donc plus favorables. En vinification de liquoreux, le mutage au SO2 relance cette fermentation glycéro-pyruvique sur la fin de fermentation. De même, les hétéro-polysaccharides des raisins contaminés par le Botrytis Cinerea (liquoreux) dévient la fermentation alcoolique vers la fermentation glycéro-pyruvique.
La levure synthétise ses acides aminés, certains sont aromatiques, la tyrosine par exemple et la phényl-alanine.
Nous avons vu précédemment qu'en cas de carence azotée, la levure pouvait dégrader les acides aminés. Certaines voies de dégradation aboutissent à l'apparition de molécules aromatiques : de la leucine on obtient de l'alcool iso-amylique, de la tyrosine on obtient le tyrosol.
L'acide acétique n'est pas seulement un produit des bactéries ; la levure en fabrique toujours un peu (entre 0,1 et 0,3 grammes par litre). Certaines souches en fabriquent plus que d'autres, (du simple au double), et cette synthèse est favorisée par la température, le pH, une carence en thiamine ou un débourbage trop important. La levure en produit plus qu'il n'en reste à la fin car elle en réutilise une partie dans son propre métabolisme.
Les levures produisent toute une palette d'alcool supérieur et acides volatiles plus ou moins odorants, certains disparaissent en fin de fermentation.
Le saviez-vous ? La levure produit elle-même du SO2, en quantité peu significative pour les souches les plus couramment utilisées, mais quelques souches particulières pourraient, d'après certaines études, produire jusqu'à plus de 200 mg/l de SO2 soit l'équivalent d'un sulfitage de 20g/Hl. Sachant que les moûts de raisin reçoivent en moyenne de 4 à 7 g/Hl de SO2, la concentration de SO2 produite par ces levures est non négligeable.
Le parc enzymatique de la levure permet de libérer certaines molécules aromatiques, linalol, geraniol, citronelol, terpènol, propres aux cépages, qui resteraient inodores sans l'intervention de ces enzymes.
Enfin, les levures sont riches en éléments gustatifs et aromatiques qui sont récupérés dans le cas des vins blancs, vinifiés et élevés sur lie, lors de l'autolyse de celles-ci (voir article précédant "vinification des blancs de graves")
Fabian Barnes
In Vino Veritas
D'autres articles contenant ces mots
Mots-clés Barnes (Fabian) , In Vino Veritas , levure
Derniers commentaires
→ plus de commentaires