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Août 05 07

Version imprimable Le goût du vin évolue, quid de la conservation ?


La replantation du vignoble sur des porte-greffes américains au début du siècle, puis sa dévastation et sa nouvelle plantation après le gel de 1956 ont induit de nouveaux paramètres. Ajoutés aux progrès de l’œnologie et à la maîtrise de divers composants inconnus avant, il semble que le goût du vin ait évolué en conséquence. Mais alors quid de la conservation ? Nous n’aurons la réponse que dans plusieurs années. Une méthode pour ne pas déprimer face à cette question existentielle : tout boire maintenant !

 

Le goût du vin et ses déclinaisons au cours du siècle.


Suite à l’article sur l'oenologie au cours du siècle, aucun doute ne subsiste quant à l’évolution, ces cinquante dernières années de l'approche qualitative dans les vignobles et les travaux de la vigne et du chai. De même, le paysage viticole, son régionalisme et ses structures agraires ne sont plus comparables. Il semble alors inévitable de penser que, si la matière première et les outils ne sont plus les mêmes, les vins et leurs goûts ont changé.


Posée dans ce sens, l'équation est admise de tous. Moins unanime est la réponse des professionnels, si l'on suppose, en conséquence, qu'un millésime 1961 ou 1982, vinifié aujourd'hui, n'aurait pas le même goût. 

Du fait même du caractère exceptionnel de ces millésimes c’est la symbolique de l'identité d'un vignoble qui est atteinte et les dents grincent.

Le terme utilisé est alors amélioration du goût plutôt que de changement. Des qualités de millésimes médiocres sont mises en avant. S’ils avaient été vinifiés aujourd'hui,ils auraient pu devenir de bons, grands ou très grands millésimes.


Aucune objection, le bien fondé de ces propos trouve son évidence dans le nombre croissant de millésimes de bonne qualité des décennies 50 à 90, et encore plus nettement dans le recul des mauvais millésimes et leur quasi-disparition. Un millésime 1992 bordelais peut-être noté léger, aqueux, simple et sans garde mais ses vins ont été dans l'ensemble très agréables : on peut parler de vin de plaisir, même dans une petite année, ce qui ne pourrait être le cas d'un 1972 ou 1963.


En revanche, si nous pouvons nous réjouir d'une telle progression dans la maîtrise des vignobles, il est encore impossible de reproduire nos millésimes 61 ou 82. Et pour des millésimes plus anciens comme 1929 ou 1900 la différence serait certainement encore plus flagrante.

Passéiste, penseront certains. Effectivement, quand en 2050 on se régalera d'un millésime 1989 ou 1990, il n'y paraîtra plus. Mais si en 2050, à l'ouverture du flacon, on constate que le vin aurait dû être bu plus tôt ?… Si tous les grands millésimes 88,89,90, 95,96 et très certainement 98 ne tenaient pas la longueur ?… Si à vouloir trop lisser le mollet gourmand du marathonien il devenait pareil à celui d’une danseuse ?…


Nous serions alors bien condamnés à constater que nous sommes aujourd'hui en train de boire les dernières grandes bouteilles capables de traverser tout un siècle.


Nouveaux paysages viticoles, nouveaux goûts.


Par exemple, à la fin du siècle dernier, la localisation géographique du vignoble de Technorati, était superposable à l’actuel. Les racines de la vigne plongent donc toujours dans les mêmes couches sédimentaires, la notion de sous-sol n’est pas en cause.


Par contre, sont-ce les mêmes racines ? Nous savons que l’ensemble du vignoble à été détruit par le phylloxera et qu’il a été replanté sur des porte-greffes américains. Il serait difficile de prétendre que le métabolisme de la plante greffée soit identique aux anciens plants français, francs de pied. La qualité et les concentrations des constituants de la baie en ont, par conséquent, été modifiés ; les vins également.


La variété des cépages à également été largement modifiée au cours du siècle. Si les Cabernets- Sauvignons et Francs (autrefois nommés Bouchet) et les Merlots ont toujours été bordelais, ils partageaient le territoire avec les Petits Verdots et Malbecs, alors fort répandus. Aujourd’hui ces cépages sont à l’état de traces dans le vignoble. Après les avoir rayés de la carte, les professionnels s’y intéressent de nouveau. Ils leur trouvent des qualités qui ont dû être oubliées et il est question de leur redonner vie dans certains vignobles. En tout cas, les vins vinifiés hier, médocains ou libournais, étaient bien différents de ceux vinifiés aujourd’hui. Sur la même tranche d’histoire, le vignoble contenait beaucoup d’hybrides, Noah, Alicante Bouchet... Ces cépages, très certainement rustiques, ne manquaient pas de caractère, et le transmettaient bien aux vins.


Après le gel de 1956, une grande partie des vignobles ayant été détruite, il fallut replanter. A Saint Emilion, par exemple, les vignerons décidèrent de ne replanter que des merlots et des cabernets francs. Le vignoble, tel qu’on le connaît, a donc une petite quarantaine d’années. Mais considérant que les premiers vins d’une propriété sont issus de vignes de plus de vingt ans, les vins de cette métamorphose n’ont qu’une dizaine d’années.


Depuis cette dernière décennie, dans le Médoc, fief du cabernet-sauvignon on replante de plus en plus de merlot. Les caractères des vins médocains lors des vendanges de 2020 auront donc encore changé.


Quand, aujourd’hui on débouche une bouteille d’un très vieux vin, que l’on vante les qualités de ces vins. Il ne faut pas oublier que ces très vieux millésimes aux qualités si vantées étaient bien différents, rien que sur les données ampélographiques. En 2030 ou 2040 il ne faudra pas espérer retrouver ces caractères dans l’ouverture des millésimes de la décennie 90 parce que la matière première n’aura évidemment pas été la même.


Nouvelles vinifications, nouveaux goûts.


Ici le changement du goût des vins est bien plus visible. Il suffit de considérer les vins blancs secs et de définir qu’il y a le “avant” et le “après” (Denis Dubourdieu). L’exaltation des arômes variétaux du raisin, la fraîcheur et l’élégance des vins blancs, ne trouvent naissance que dans le début des travaux du célèbre professeur. Et si, aujourd’hui, la typicité sauvignon est presqu’une qualité commune des vins blancs de Technorati, elle était inenviseageable avant les années 1980.


Dans les années 1990 on a développé encore un nouveau caractère à ces vins blancs, celui attribué au potentiel aromatique des levures récupérées pendant l’autolyse après fermentation, en conduisant un élevage sur lies.

Dans le cas des vins rouges, c’est peut-être moins flagrant parce que moins spontané. La mise au point des procédés de vinification a été longue. C’est en comprenant l’ensemble des procédés oxydatifs, de l’influence du SO2 et des phénomènes fermentaires que, petit à petit, on été mis au point les protocoles de vinification actuels. Deux grands axes semblent se dégager: la recherche du “zéro défaut ” et l’extraction de la matière.


Bien maîtrisés, les vins sont dans l’ensemble “propres” et la matière peut être extraite dans tous les vignobles. Cette extraction de matière tend à accentuer les caractères phénoliques, notamment ceux des tanins. Là, par contre, on s’efforce de les rendre plus dociles.


Les vins demandés sont d’une belle structure, puissants mais souples et soyeux. Toutes les tâches, de la taille à l’élevage, concourent dorénavant dans cette direction.


Certes, la matière phénolique, les tanins et la couleur présentaient, jadis, plus régulièrement des défauts. Mais leur extraction était minime : la vendange foulée au pied, les cuvaisons quasi-statiques et les pressoirs verticaux ne permettaient pas d’arracher à la pellicule les composés phénoliques. De plus, l’ignorance des phénomènes oxydatifs concourait, à chaque manipulation des raisins, des jus et des vins à une oxydation d’une partie de la matière phénolique. Les précipitations étaient donc nombreuses et les vins, finalement, encore moins riches en tanins et en anthocyanes.


Plus tard les viticulteurs ont maîtrisé les phénomènes oxydatifs. Ils ont découvert la richesse phénolique des raisins. Ayant à leur disposition des pressoirs puissants, capables de surcroît d’émietter le marc et de le presser plusieurs fois de suite jusqu’à épuisement complet, ils ont mis au point différents protocoles d’extraction en cuvaison comme la thermo-vinification. Nul doute que la concentration en constituants phénoliques soit très largement supérieur à celle d’antan. Cependant, s’il octroyait un maximum de bons tanins, il récoltait également les mauvais tanins. Aujourd’hui on maîtrise assez bien l’extraction des composés phénoliques et les tanins verts sont rares.


Sans tenir compte des progrès qualitatifs, on peut affirmer que la concentration incomparable en matière phénolique des vins de la fin du 20ème siècle en a complètement changé le style.


Dans ces changements du goût, il faut tenir compte de la variable “barrique”, si répandue aujourd’hui. Ce n’est pas tant la barrique elle-même qui a changé mais son utilisation. De plus en plus de barriques neuves dans les chais, jusqu’à 100% dans bien des cas. Le bois est devenu une dominante dans le parc aromatique du vin. Autrefois, les barriques étaient utilisées aussi fréquemment, peut-être même plus encore. Mais, le manque de maîtrise des fermentations malo-lactiques faisait qu’on entonnait des vins non clarifiés. Ils étaient riches de lie et de tartre qui tapissaient complètement les fûts neufs et réduisaient considérablement l’extraction des composés du bois.


Les barriques, dans la première moitié du siècle, étaient encore “purifiées” à l’ Technorati. Très généralement du cognac. Utilisée comme traitement sanitaire, la dose était souvent augmentée pour donner plus de caractère aux vins entonnés. Si aujourd’hui cette opération est révolue et si les vins ont une richesse suffisante, rien ne dit que cet enrichissement en Technorati n’a pas, justement, permis une très longue conservation des vins.
 

Fabian Barnes
In Vino Veritas
 

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Mots-clés Technorati, Technorati, Technorati