Les commissions d'agrément fustigées par Bernard Burtschy
A l'envers
«Ne tirez pas sur l’ambulance !», entend-on souvent dire à propos de l’agrément des vins. Il est vrai que le système est moribond. Mais il n’est pas sûr qu’il ne fait pas plus de mal que de bien, tant les effets pervers ont pris le dessus.
L’agrément des vins était une bien belle idée de la notion de l’appellation contrôlée d’origine. Dans l’édifice imaginé par le baron Le Roy de Boiseaumarié et le sénateur Joseph Capus, la notion d’appellation d’origine était liée à «originalité, authenticité et qualité», le tout fondé sur le respect des usages locaux, loyaux et constants. Les commissions d’agrément sont censées veiller au respect du cahier des charges et, au début, le système a relativement bien fonctionné, conduisant à une amélioration effective des vins.
Premier ver dans le fruit, ces commissions sont essentiellement composées de producteurs qui ont tous des vins à agréer et qui sont donc juges et parties. Et ce ne sont pas les œnologues extérieurs, conseils des producteurs sur les mêmes vins et donc aussi juges et parties, qui changent la donne. Comme toutes les propriétés sont maintenant, peu ou prou, en monoculture, les enjeux de l’agrément ont notablement augmenté, sans compter que ces commissions sont composées de producteurs qui ont le temps, qui ne sont pas forcément les meilleurs. Résultat, les agréments ont tourné à une farce, les vins sont pratiquement tous agréés au premier tour.
Tous ? Non, pas tout à fait. Restent sur le carreau les marginaux, ceux qui sont en dehors de la norme, les atypiques. Résultat, en dehors de quelques vins vraiment mauvais, connus de tous depuis longtemps et qui seront repêchés à titre social, le système rejette, avant tout, l’élite de la production française, ceux qui sont recensés dans tous les guides pour l’originalité de leur production, mais qui sont atypiques dans leur appellation . A un point tel que la liste des refus d’agrément devient la liste des meilleurs producteurs de France.
Comment en est-on arrivé là ? Prenons une appellation mythique comme Margaux. Peut-on aujourd’hui réellement définir une typicité de l’appellation ? Quel est le lien qui relie Kirwan, Malescot Saint Exupéry, Cantenac-Brown, et même Château Margaux, entre autres, dans le style des vins ? Aucun. Pourtant, ces quatre châteaux produisent des vins de grande qualité, représentatifs de leurs terroirs respectifs au sens large avec un véritable fil conducteur dans le temps. Certes, ils sont tous élevés en bois en partie neuf, selon les mêmes recettes, en utilisant à peu près les mêmes modes œnologiques du moment. Faute de pouvoir définir une unicité de style, ce qui est impossible à Margaux, ces recettes deviennent le standard de la typicité locale. Même dilué, même mal foutu, et les exemples ne manquent pas, il suffit d’utiliser ces recettes pour obtenir l’agrément. Mais gare à ceux qui sortent des sentiers battus. Le seul producteur qui a des problèmes d’agrément à Margaux est celui qui est resté fidèle à son terroir très original, qu’il exprime avec talent sans avoir besoin des béquilles d’un élevage en bois et qui, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes, est le seul à rester fidèle à l’essence même de cette appellation telle qu’elle est décrite dans les livres anciens : un vin délicat, élégant, profond, raffiné et complexe. Vous connaissez beaucoup de Margaux actuels qui rentrent dans cette définition ? Je pourrais multiplier les exemples à l’infini, comme tel producteurs des Coteaux du Layon qui voit son vin refoulé en vin de table parce qu’il n’atteint pas le degré alcoolique minimum requis, alors que, et c’est connu scientifiquement depuis longtemps, certains vins marqués par une forte pourriture noble ont du mal à fermenter. Revenu aux principes originels de son appellation qui est, rappelons le, une des appellations de vins liquoreux de France, il a l’outrecuidance de rechercher la pourriture noble, ce qui est sûrement un comble dans une appellation habituée à la chaptalisation à outrance. D’où la sanction.
Tous ces vins sont refoulés au nom d’un passager clandestin de l’agrément, la typicité. Cette notion récente, jamais définie et qui ne figure dans aucun texte, est devenue la tarte à la crème des agréments et surtout des refus d’agrément, sans jamais la citer d’ailleurs. Pourtant, les principes fondateurs des appellations contrôlées, qui sont l’originalité et l’authenticité, n’empêchent en rien la diversité, bien au contraire. Sans compter la qualité, grande oubliée de l’agrément. L’agrément actuel cherche à faire rentrer tous les vins dans le même moule, fondé non pas sur l’élitisme républicain, mais sur la relative médiocrité du plus grand nombre, ce qui n’a rien d’un cercle vertueux. Si l’ambition d’élever le niveau des vins relève d’un autre débat, autrement plus complexe, accepter la diversité dans la qualité est un premier pas. D’autant que de l’uniformité naît l’ennui…
Bernard Burtschy
La Revue du Vin de France
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Mots-clés Burtschy (Bernard) , agrément
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