Les tonneaux de l'Atlas
Par Marc A. Copti
par Marc A. Copti
De fin avril à fin mai dernier (2008), j’ai eu le grand bonheur de visiter une (petite) partie du Maroc . La raison principale du voyage était un heureux événement familial. Et j’en ai profité pour faire une fort sympathique tournée des principaux vignobles du pays. Vous me connaissez à présent, l’appel du divin nectar m’étant irrésistible … tant que l’on respecte la maxime du poète persan Omar Khayyam qui, à défaut d’avoir justement parcouru l’Atlas, déclama que le respect entre l’homme et le vin réside en ce qu’aucun des deux ne renverse l’autre par terre.
Peu nombreux, les viticulteurs marocains sont assez prolifiques dans leurs diverses cuvées. J’en ai visité trois, dont j’ai dégusté une partie seulement de la production.
Oui, d’accord, j’ai été un tantinet longuet à pondre cette rubrique. C’est la contrepartie de la prose libre, indépendante et amatrice (comprendre : entre autres non-rémunérée et capricieuse. Bien que nombreux comme vous êtes à avoir soudainement envie d’y aller, je me demande si tout à coup je ne devrais pas facturer leur Office du tourisme).
Je vous rassure (ou non!), ce long silence n’est pas dû aux vapeurs éthyliques dudit périple. C’est juste que, contrairement aux poètes (maudits) et aux compositeurs (de musique), ma prose s’exprime dans la sérénité plutôt que dans la tourmente. Mais fi de considérations de divan (non, n’insistez point, comtesse, vous n’aurez pas l’adresse de mon psy), qu’en est-il donc de la viticulture marocaine?
Les nouveaux vins du vieux monde
Avant de vous faire subir mon désormais connu, voire espéré (on peut toujours rêver), tableau récapitulatif, quelques données en vrac. Le Maroc compte une production viticole négligeable (environ 75 millions de bouteilles m’a-t-on dit et répété) par rapport aux producteurs du vieux monde et à la myriade de ceux du nouveau monde, mais n’en prétend pas moins au titre de « nouveaux vins du vieux monde ». Jolie formule, dont la tournure rend justice, mais pas toujours dans le sens espéré, à la production du pays.
Pendant, et surtout à la suite, de ces dégustations, l’idée de vins « nouveau monde » s’est effectivement imposé à mon palais. Faciles à boire, quelquefois caricaturaux pour les blancs (le tandem vanille-beurre) comme pour les rouges (le tandem confiture-torréfaction) … surtout quand peu nombreux sont ceux qui visitent les fûts de chêne. Pour l’anecdote, 50% des bouchons de liège proviendraient de chênes marocains. Il est difficile d’y repérer les terroirs, et c’est généralement dommage, car terroirs il y a. Ces régions de l’Atlas où se cultivent les vignes sont d’une beauté stupéfiante, et allient traditionnellement (la production de vins, malgré de longues absences, y date depuis l’antiquité) vignobles, oliviers et vergers.
A leur honneur, ce sont des vins de bon rapport qualité/prix; dans le sens où les prix sont assez doux (pour les consommateurs étrangers que nous sommes, entre 8 et 15$, 20$ ou 25$ pour vraiment les plus dispendieux) … surtout si l’on doit comparer avec, par exemple, nos vins canadiens (hormis vins de glace) dont les tarifs demeurent exorbitants … pour des vins assez semblables (nouveau « nouveau monde »!). Bon d’accord, c’est une comparaison bancale, les prix des uns et des autres étant pour des vins bus sur place. Mais ça vous donne une bonne raison (vous en fallait-il?) pour visiter le Maroc .
La perspective cigares
Comme vous le savez maintenant, lecteurs fidèles qui avaient lu (et re-lu, n’est-ce pas?) ma (lointaine) rubrique de dégustation sur le salon des Vins de Montréal du printemps dernier, ma perspective (iconoclaste) ne perd pas de vue (ô horizon lointain perdu dans les violacées volutes éthérées) que les vins sont souvent un prélude, plus rarement un compagnon, aux cigares. A cet égard, le Maroc est paradisiaque : le politiquement correct n’ayant pas encore renvoyé aux oubliettes des plaisirs (désormais) interdits, vous pouvez (encore), dans le respect des lieux et des autres, savourer votre cigare après les (si bons) délices du manger et du boire locaux.
Le Tableau
Pour en faciliter, un peu, la lecture et en complément d’information, avec les vins classés par domaine, respectivement dans l’ordre chronologique des dégustations :
Les Celliers de Mekhnès (également connu sous Château Roslane, un paradis de rosiers multicolores – dégustation in situ le mardi 6 mai 2008). Gigantesque domaine de
Le Domaine de
Et, finalement Thalvin (le Château Benslimane, datant de 1926, un endroit enchanteur où le Ryad du vigneron offre une gastronomie et un gîte remarquables – dégustation in situ le vendredi 16 mai 2008).
Domaine |
Vin et cépage |
Commentaires |
La touche cigare |
Celliers de Mekhnès |
Blanc Ksar Bahia (nom à l’exportation) 2007 (localement Les Vins de Cépage , et non-millésimé) 100% sauvignon blanc (100% cuve inox) |
Nez légèrement vanillé et beurré, citronné en bouche. Pas inintéressant, facile à boire, mais change rapidement au 2ème nez et à la 2ème gorgée, perle très légèrement et semble un tantinet vineux, le tout avec une courte longueur en bouche. |
Non, ni pendant ni après, un bon vin de soif à boire bien frais, loin de toute velléité « cigarienne » |
Celliers de Mekhnès |
Blanc Riad Jamil (nom à l’exportation) 2007 (localement Beauvallon, et non-millésimé) 100% chardonnay (100% cuve inox) |
Nez très fin, aucune attaque du tandem beurre-vanille, plutôt un léger parfum d’ananas, repris en bouche avec des saveurs calcaires, voire argile blanche (presque médicamenteux), une belle acidité et une longueur moyenne respectable. Un flash de cuisine locale : olives vertes croquantes et citron confit sans amertume. |
Non, idem que précédemment |
Celliers de Mekhnès |
Blanc Château Roslane 1er cru (Coteaux de l’Atlas AOC), 2007 100% chardonnay 60% fûts neufs / 40% fûts un an d’âge |
Remarquable, on dirait un très bon bourgogne, dans ses attributs de délicatesse dans le tandem beurre-vanille avec des points notables d’agrumes, une belle acidité en bouche avec le sillon d’amertume, un équilibre harmonieux avec le nez, une longueur moyenne en intensité et tout à la fois persistante dès la 2ème gorgée |
Pas de cigares en accompagnement, mais j’aurais envie de proposer un dominicain (même acide au goût comme la plupart des Davidoff) à la suite du repas avec ce vin. Une tentative rare, étant plutôt réticent au cigare post-vin blanc |
Celliers de Mekhnès |
Rosé Ksar Bahia, 2007 100% cabernet sauvignon (100% en cuve inox) |
Couleur très claire, presque transparent, un nez fortement vanillé, en bouche aussi, avec des relents sucrés et perle légèrement. Un vin de soif, mais en quantité restreinte, peu devenir difficile à la longue |
Non, ni pendant ni après |
Celliers de Mekhnès |
Rosé Riad Jamil, 2006 100% syrah (100% en cuve inox) |
Couleur plus foncée que le précédent, nez de jus frais de fraise, un peu sucré au nez, en bouche toujours le jus de fraise, un vin de soif plus facile à la longue que le précédent, mais pas vraiment convaincant, finalement une astringence (!) en bouche |
Non, ni pendant ni après |
Celliers de Mekhnès |
Rouge Beauvallon, 2005 Élevage de 8 mois dans 1/3 fûts neufs 1/3 fûts d’un an 1/3 fûts de 2 ans |
Très original, un nez de sous-bois très frais, en bouche facile à boire, côté bonbon dans le bon sens (nouveau monde de l’ancien!), un peu court et légèrement alcoolique, en substance poivrons rouges confits, fraise en confiture concentrée cette fois et peu de tannins |
Oui, finalement un vin qui fait des clins d’œil aux cigares … après la dégustation , pas pendant. Des idées : cigares du Nicaragua plutôt doux, avec une fumée lourde et capiteuse; la gamme régulière des petits modules de Padron, mais aussi l’Imperial de la série 1964 ou un petit de la série 1926 |
Celliers de Mekhnès |
Rouge Château Roslane 1er cru, 2003 (AOC Coteaux de l’Atlas) 65% cabernet sauvignon, 15% merlot , 20% syrah 14 mois en 100% fûts neufs |
Nez un peu alcoolisé, avec des arômes de fruits rouges confits, une dominance de la fraise et de la framboise, bouche bien fondue, arrondie, agréable, un peu alcoolisée aussi et sans agression tannique, complétant harmonieusement le nez. Au final, une combinaison étonnante de pâte de fruits, et un peu de pâte d’amandes |
Oui, et à cause de l’alcool plus présent, on pourrait même tenter le cigare en accompagnement … dans le genre un vieux punch grand cru du honduras, dans le format torpedo par hasard et dans les (bonnes) années de 1998 à 2001 inclusivement. Sinon, à la suite du vin, le cubain de votre choix, un Ramon Allones (?) |
Volubilia |
Gris (dans la famille des rosés, pour simplifier) Volubilia gris, 2007 100% caladoc |
Nez agréablement fruité, avec de légers arômes de sucre voire de miel, puis des agrumes avec distinctement le pamplemousse rose, bouche harmonieuse et en complément du nez, bon vin (complexe) de soif |
Non, on passe le tour |
Volubilia |
Rosé Volubilia rosé, 2007 100% marsallan |
Nez plus épicé que le gris, un peu gingembre et à l’insistance pain d’épices, toujours un côté miel, bouche se distingue par un surprenant (et inattendu) sillon d’amertume et peu d’arômes spécifiques |
Non, on passe le tour |
Volubilia |
Rouge Volubilia classic, 2005 60% de cabernet sauvignon, 30% de syrah et 10% de tempranillo 100% cuvée béton |
Nez facile et agréable, jus de fraise et framboise, un peu bonbon, bouche de prune rouge fraîche, longueur moyenne et aucun tanin restant |
Oui après le vin et pas du tout avec. Votre choix encore une fois dans les cigares plutôt légers, tous terroirs confondus |
Volubilia |
Rouge Volubilia classic, 2006 60% de cabernet sauvignon, 10% de syrah et 30% de tempranillo 100% cuvée béton |
La redistribution du pourcentage entre syrah et tempranillo pour le 2006 (versus 2005) donne un nez semblable mais avec plus d’alcool olfactivement et en bouche aussi plus alcoolique avec des tannins cette fois et des arômes de sous-bois |
Oui et on pourrait tenter le mariage cette fois-ci avec le vin, bien qu’à mon avis le cigare serait plus approprié après seulement. Avec, peut-être un romeo et juliette cubain et après un partagas D4. |
Volubilia |
Rouge Epicuria syrah, 2005 100% syrah vinifié 100% cuve béton + 6 à 9 mois par la suite en barriques de chênes français de |
Nez très légèrement giboyeux, un peu fermé durant toute la dégustation , bouche très intéressante avec dominance de pruneaux sur-confits et un peu alcoolique. En 2ème dégustation , nez encore plus fermé mais plus facile en bouche, les arômes s’expriment, un vin difficile pour une dégustation seule, plutôt gastronomique |
Peut-être avec, alors cigares moyennement corsés (quel que soit le terroir ) et certainement après, avec un cigare maduro aux arômes capiteux, cohiba 5 ou autre EL cubain |
Volubilia |
Rouge Epicuria cabernet sauvigon, 2005 100% cabernet sauvigon vinifié 100% cuve béton + 6 à 9 mois par la suite en barriques de chênes français de |
Nez forestier à souhait, champignons et humus, bouche plus douceâtre que le précédent le rendant plus facile à déguster seul. En 2ème gorgée, finale médicamenteuse assez intéressante |
Idem que le précédent, avec un registre moins maduro pour les cubains, une idée comme ça : Juan Lopez #2, San Luis Rey en général |
Volubilia |
Blanc Epicuria chardonnay, 2006 100% chardonnay Élevage d’environ 10 à 12 mois, pour moitié en barriques et pour moitié en cuves |
Nez peu prononcé sur le tandem beurre-vanille, plutôt oxydatif, un peu soufré, mais se corrige après quelques minutes … un vin blanc à décanter, puis des arômes d’ananas frais agréablement complétés en bouche par de la confiture d’ananas légèrement vanillé cette fois, le tout avec une impression de quasi-voile |
Non, certainement pas avec. Peut-être après, à cause essentiellement du côté voilé. Une tentative avec des Flor de Selva ou autre registre des Oliva du nicaragua |
Château Benslimane |
Blanc S de Siroua (non-millésimé) 100% chardonnay vinifié sur lie en cuve béton |
Nez frais, minéral, légèrement sur les agrumes et un peu vineux, bouche peu remarquable, pas d’amertume, acidité très légère, perlant un peu |
Non |
Château Benslimane |
Blanc Aït Souala (non-millésimé) 100% chardonnay vinifié pour ½ en pièce de bois de |
Nez intéressant avec arômes de beaux agrumes frais, très légèrement beurré, belle bouche avec un peu d’amertume, arôme de pamplemousse blanc et rose, bel équilibre, longueur moyenne; m’a fait penser à un bon pessac blanc malgré la complète différence de cépage |
Non |
Château Benslimane |
Rosé Cuvée 1ère du Président (non-millésimé) En proportion changeante : syrah, grenache et cinsault |
Nez de jus de fraise et impression au nez de caramel, bouche bien complémentaire avec la fraise mais sans sucre (assez sec, étonnant après le nez), légère amertume en 2ème bouche et à chaque finale de gorgée |
Non |
Château Benslimane |
Rosé Médaillon rosé (non-millésimé) 100% syrah |
Nez, comme bouche, hermétiques, un vin fermé (?), difficile d’y décerner des arômes |
Non |
Château Benslimane |
Rouge Cuvée 1ère du Président 2005 Cabernet sauvignon et grenache |
Nez légèrement truffé, agréable, des arômes de cassis mêlé au sous-bois, bouche moins en adéquation, plutôt bonbon et finale pas trop intéressante, une amertume bizarre avec une mâche inattendue |
Non |
Château Benslimane |
Rouge S de Siroua, 2005 100% syrah |
Nez d’une intéressante complexité, riche avec des fruits rouges pêle-mêle, bouche bien fondue aux arômes de torréfaction, café, chocolat et belle amertume, tannins fondus, belle longueur, un vin à boire |
Oui, après, un bon vin qui appelle par la suite de bons cigares, réservez-lui ce que vous avez de meilleur, terroirs cubains et autres |
Château Benslimane |
Rouge Aït Souala, 2004 50% arinarnoa, 25% tannat, 25% malbec Vinifié 24 mois pour 2/3 en cuve béton et 1/3 en barriques de chêne |
Nez encore fermé mais on sent et ressent la complexité et le potentiel à venir, très légère vanille et très légère torréfaction, bouche au rendez-vous avec des arômes de fruits rouges mêlés de chocolat amer, un petit côté remarquable de noix de grenoble verte en guise de longueur en bouche à la finale |
Oui, un vin qui appelle définitivement le cigare par la suite, à mon avis pas avec. Une envie de cigares dominicains moyennement corsés, répertoire Fuente peut-être (exclure les OpusX) |
Château Benslimane |
Rouge Tandem (commercialisé sous le nom de Syrocco en amérique du nord), 2006 Une collaboration avec le vigneron de Crozes-Hermitage Alain Graillot 100% syrah |
Nez de fruits rouges et prune, avec bois fins et une fraîcheur en même temps, bouche de bons arômes de torréfaction, peu de tannins, amertume fondue et une acidité (de vin de garde) présente comme il faut |
Oui, mais certainement pas avec. Mon avis, à la suite du vin, un cigare cubain dans la famille Montecristo, plus spécifiquement le #2 ou un Edmundo |
Château Benslimane |
Rouge CB (pour Cuvée Barrique ) Initiales, 2005 En bouteilles numérotées merlot + cabernet sauvigon |
Nez avec bois et vanille assez présents et petite senteur « particulière » de champignons, bouche bonbon sans faire trop caricaturale, fruits rouges et humus pour rappel aux champignons, encore assez de tannins et longueur moyenne. Un résidu d’acidité et d’amertume bienvenus en 2ème gorgée |
Idem que le précédent, variante de cigares à la suite : Sancho Panza Belicoso ou Bolivar royal corona |
Toujours pour les amateurs de statistiques : 23 vins ont été dégustés et commentés au total, dont 7 en provenance des celliers de l’Atlas, 7 en provenance de Volubilia et 9 en provenance du Château Benslimane ; et sur ce total de 23 vins : 6 blancs, 1 gris, 5 rosés et 11 vins rouges.
Voilà! Ça vous a donné envie d’y aller? Moi d’y retourner. Rendez-vous dans l’Atlas.
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